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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

Ce caractère de rigoureuse équité lui a donné une véritable magistrature populaire. Elle est chargée de réviser les sentences de la justice, comme autrefois le tribunal des francs-juges. À elle appartient la défense de cette moralité de cœur en dehors des lois, et que le cœur seul peut juger. Ses arrêts, adoptés par l’opinion, sont irrévocables, chacun se fait bourreau pour les exécuter. Nous pouvons citer, à ce sujet, un fait dont nous affirmerons l’exactitude, parce que nous en avons été personnellement témoin, et qui en dira plus que tous les raisonnemens.

Lorsqu’une partie du Morbihan se souleva, pendant les cent-jours, on sait qu’un combat s’engagea près d’Auray, entre les insurgés et les bleus. Ce ne fut qu’un échantillon de guerre civile, un fac-simile de 93. Cependant l’affaire fut assez meurtrière pour laisser quelques centaines d’hommes cuver leur sang dans les douves des chemins creux, car ce fut là qu’on trouva presque tous les cadavres ; et, comme le remarqua avec une farouche naïveté le maire chargé de déblayer le champ de bataille, cela avait l’air des suites d’un pardon, et de braves gens qui s’étaient endormis dans le vin. Malheureusement bien peu de ces dormeurs se réveillèrent.

Le lendemain du combat, de bon matin, une femme se rendait aux champs, sa faucille sur le bras. Tout en marchant le long du chemin qu’elle suivait, elle regardait curieusement de tous côtés. Autour d’elle, les arbres étaient troués de balles, les buissons brisés, et la terre piétinée. De loin en loin on voyait la route semée de boutons, de cheveux, de brins de laine tordue arrachés à des épaulettes, de papier à cartouche, de lambeaux de chapeaux bretons, percés par le plomb ou la baïonnette, de flaques de sang à demi figé. Tout indiquait qu’un engagement vif et récent avait eu lieu dans cet endroit. Quant aux cadavres, ils avaient tous disparu ; les paysans étaient venus, pendant la nuit, leur donner la sépulture, et les femmes avaient parcouru le champ de bataille, le bissac sur l’épaule, dépouillant les morts ennemis et disant une prière pour les leurs. On parlait même de riches butins faits ainsi par quelques-unes, et l’on aurait pu croire que la jeune paysanne y songeait, à voir sa préoccupation et l’espèce d’attention avec laquelle son œil scrutait les halliers des deux côtés du chemin. Elle était enfin arrivée à un endroit plus large, presque entière-