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LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

l’économie ; ils se posèrent dans le conseil et dans la chambre comme les partisans des réductions, du désarmement ; et comme ces opinions étaient très populaires, comme elles avaient du retentissement, et qu’elles tenaient surtout aux nécessités et aux besoins du trésor, ils acquirent tout à la fois l’assentiment absolu de M. Humann, et plus tard de M. de Rigny. Maîtres de ces voix au conseil, les doctrinaires agirent incessamment contre le maréchal. Il y eut des disputes violentes, des démissions données, puis reprises ; enfin la retraite du maréchal fut obtenue comme une conquête, et l’aveuglement de M. Thiers fut à ce point, qu’il contribua lui-même à renverser le maréchal, seul appui un peu puissant qu’il eût dans le cabinet. Ce qui perdit M. Thiers en cette circonstance, c’est qu’il se crut favori, et que tout homme en crédit importune le favori ; il vit avec plaisir le moment où il pourrait jouir sans partage de la confiance de Louis-Philippe. Il se trompa ; le rôle de favori veut être soutenu, dans le système qui nous régit, de quelque intérêt positif ; les circonstances parlementaires imposent tant de sacrifices aux royales amitiés ! M. Thiers dut s’apercevoir que son crédit avait baissé partout, au château comme dans la chambre ; on commença à parler contre la probité de son administration, la légèreté et l’inconvenance de son caractère politique. M. Thiers eut un certain instinct de sa position ; dès ce moment il fit, dit-on, des ouvertures, mais indirectes, à M. Molé, si justement et si hautement placé dans l’opinion ; il savait qu’il aurait besoin de ce secours d’honneur, de crédit et de popularité européenne dans une combinaison nouvelle, et que, fort de cet appui, il pourrait lutter contre M. Guizot qui, de son côté, s’était rapproché de M. de Broglie et le rappelait à la présidence.

Jusqu’ici tout se passait dans une sorte de mystère ; aucune proposition officielle n’avait été faite ni à M. Molé ni à M. de Broglie ; on se rapprochait seulement ; on s’essayait ; on voulait savoir de part et d’autre quelles seraient les conditions que l’on mettrait à une adhésion au pouvoir, quel ministère l’on prendrait, quelle position l’on ferait à chacun ; c’étaient autant de petites administrations occultes que l’on préparait à côté du cabinet public et avoué.

La nomination du maréchal Gérard fut aussi un de ces termes moyens que le roi savait mettre en avant avec tant d’habileté pour éviter la dissolution de son conseil. Les ministres connaissaient peu le maréchal Gérard ; ils savaient seulement qu’il était l’ami du roi ; que de part et d’autre ils devaient se l’attirer, parce qu’il apportait une certaine force politique. Au fond, le maréchal Gérard était un homme très ordinaire, un administrateur sans grande portée ; mais enfin, il avait une réputation de probité et