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ne fallait pas un président trop haut placé, un personnage qui, offrant une puissante clientelle parlementaire, remplaçât l’impétueuse domination de Casimir Périer. Le choix de M. de Broglie était une force sans doute pour la fraction doctrinaire, mais on savait à quelles conditions il acceptait : le roi se réservait les affaires étrangères ; la présidence était un titre d’honneur, un caractère nominal ; et puis, M. Thiers, grandissant, devenait par compensation ministre du commerce, puis ministre de l’intérieur, c’est-à-dire qu’il se posait comme la main puissante du gouvernement, le directeur de toutes les affaires à l’intérieur de la France.

Quand M. de Broglie fut obligé de se retirer devant un échec parlementaire, le tiraillement de la présidence se manifesta de nouveau ; le triple intérêt que nous avons signalé se montra avec plus d’énergie encore ; le temps n’était pas mûr pour que M. Guizot ou M. Thiers demandassent hautement la présidence du conseil pour eux-mêmes ; M. Guizot avait même sacrifié avec un laisser-aller remarquable, M. de Broglie son ami ; celui-ci, profondément ulcéré, avait alors laissé percer quelques phrases sur l’ingratitude du ministre, commensal de sa maison, qui n’avait pas partagé sa disgrâce, et s’était au contraire rapproché de M. Thiers. Comme compensation, le roi donna M. Duchâtel à M. Guizot, ce qui assurait encore une voix doctrinaire dans le conseil. Successivement M. Guizot, par son talent si élevé, par ses démarches actives, par ses succès de chambre, ses hautes et belles théories parlementaires, parvint à se rattacher M. Humann, et à convoiter M. de Rigny, pour le faire entrer dans le mouvement doctrinaire et assurer à cette opinion la majorité du conseil.

La présidence de M. le maréchal Soult fut encore une transaction entre les deux fractions. Le duc de Dalmatie s’était séparé de toutes les coteries ; s’il avait quelque prédilection, c’était peut-être pour M. Thiers, l’homme qui répondait le mieux à ce besoin de dépenses excessives, de marchés onéreux, qui caractérisait le ministre de la guerre. Le maréchal entrait parfaitement dans les goûts du roi ; avec une volonté forte et impérieuse à l’égard des subordonnés, avec le sentiment de l’obéissance passive et absolue dans tous les inférieurs, il possédait au plus haut degré l’esprit de convenance et de courtisanerie auprès du roi ; le vieux guerrier était le favori du château, il avait hérité des traditions de l’empire par rapport au souverain et à l’armée, et ses traditions plaisaient.

Quand les doctrinaires virent ainsi le maréchal en grand crédit auprès du roi, et se rapprochant de M. Thiers pour toute espèce de combinaison politique, ils cherchèrent à le démolir dans l’opinion et dans la chambre. La tactique des doctrinaires fut simple ; ils attaquèrent le maréchal par