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tillons dans ses autres romans. Si dans le Bal de Sceaux les héritages à flots ne lui coûtent rien ; si, dans les Célibataires, les meubles de Boulle, les Vierges de Valentin et les Christ de Lebrun se trouvent tout à propos mêlés au mobilier du chanoine Chapeloud pour faire péripétie vers la fin et révéler trop tard leur valeur au pauvre Birotteau dépossédé, ce ne sont là que des bagatelles et des pauvretés au prix de ce palais des Mille et une Nuits, de cette maison Claës et de ce qu’elle enferme. Ici les tableaux des maîtres, les tulipes introuvables, les meubles d’ébène et les boiseries dignes de Salomon sont dès l’avance disposés. Les solives et les poutres elles-mêmes récèlent de l’or : l’or ruisselle et pétille dans les parloirs, suivant l’expression du romancier enivré, de même que la dentelle bouillonne autour de la longue pélerine de Mme Claës. Au milieu de toutes ces merveilles qu’il gaspille, de ces trésors qu’il dissipe en fumée, Balthazar Claës, qui croit se mettre au courant de la science moderne en poursuivant le but mystérieux des Nicolas Flamel et des Arnauld de Villeneuve, est proclamé à tout instant homme de génie, et ses actes déréglés ou même cruels envers sa famille nous sont donnés comme la conséquence inévitable d’une intelligence supérieure en désaccord avec ce qui l’entoure. M. de Balzac, en effet, prodigue volontiers à ses personnages les termes de génie, comme il leur prodigue les trésors ; il ne laisse pas d’alternative entre le génie et tous les défauts. On rencontre fréquemment chez lui des sentences du genre de celle-ci, dans les Célibataires : « Il n’y a qu’un homme de génie ou un intrigant qui se disent : J’ai eu tort. » Et dans la Recherche de l’Absolu, dès les premiers chapitres, à propos de Claës : « Les gens d’esprit sont variables autant que des baromètres, le génie seul est essentiellement bon. » Mais il est temps de le dire, à travers toutes ces chimères de l’alchimiste et du romancier qui semblent ne faire qu’un, ce qui ressort à merveille, c’est l’insatiable espoir de l’adepte ; ce qui règne et palpite, c’est sa fièvre ardente, incurable, une fièvre d’avide crédulité ; on s’impatiente de l’entendre louer pour son génie ; on le traite de fou délirant ; on accuse la faiblesse de ses proches qui ne l’ont pas fait enfermer déjà ; on tremble quand on voit sa fille aînée lui obtenir, pour l’arracher à son laboratoire, une caisse de recette générale au fond de la Bretagne ; on