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Grenadière, le jeune Louis ne se contente pas des assurances de bonne santé que lui donne sa mère, et il en étudie le visage, etc. En un mot, cet en est partout employé à faux par M. de Balzac ; il y trouve je ne sais quelle particulière douceur, et l’introduit jusque dans certaines locutions qui n’en ont que faire. Au lieu de dire, par exemple : Il y va de la vie, de la fortune, il ne manque pas de dire : il s’y en va de la vie. Nous adressons ces chicanes de détail à M. de Balzac, parce que nous savons qu’elles ne sont pas perdues avec lui, et que, malgré toutes les incorrections par nous signalées, il soigne son style, corrige et remanie sans cesse, demande jusqu’à sept et huit épreuves aux imprimeurs, retouche et refond ses secondes et troisièmes éditions, et se sent possédé du louable besoin d’une perfection presque chimérique. Il a même, selon nous, à se garder dans ces remaniemens successifs d’altérer quelquefois une première rédaction plus franche et plus simple. Ses efforts pourtant sont heureux en mainte circonstance. Il y avait dans la première édition de la Femme abandonnée, publiée par la Revue de Paris, une charmante page qui, à l’aide de quelques retouches habiles, est devenue tout-à-fait belle dans une édition suivante. Je la citerai ici pour montrer à M. de Balzac un excellent modèle en certaines parties de lui-même, et pour dédommager le lecteur de ces querelles de langue par une plus gracieuse image. Il s’agit de la première visite du jeune M. de Neuil à Mme de Beauséant, et du trouble incertain qu’il en rapporte : « À l’âge de vingt-trois ans, dit M. de Balzac, l’homme est presque toujours dominé par un sentiment de modestie. Les timidités, les troubles de la jeune fille l’agitent. Il a peur de mal exprimer son amour ; il ne voit que des difficultés et s’en effraie ; il tremble de ne pas plaire ; il serait hardi s’il n’aimait pas tant. Plus il sent le prix du bonheur, moins il croit que sa maîtresse puisse le lui facilement accorder ; d’ailleurs, peut-être se livre-t-il trop entièrement à son plaisir, et craint-il de n’en point donner. Lorsque par malheur son idole est imposante, il l’adore en secret et de loin : s’il n’est pas deviné, son amour expire. Souvent cette jeune passion, morte dans un jeune cœur, y reste brillante d’illusions. Quel homme n’a pas plusieurs de ces vierges souvenirs qui, plus tard, se réveillent, toujours plus gra-