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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

que admirables, touchantes du moins et délicieuses, ou piquantes et d’un fin comique d’observation, il y a un pêle-mêle effrayant. Ôtez de ses contes la Femme de trente ans, la Femme abandonnée, le Réquisitionnaire, la Grenadière, les Célibataires ; ôtez de ses romans l’Histoire de Louis Lambert, et Eugénie Grandet, son chef-d’œuvre, quelle foule de volumes, quelle nuée de contes, de romans de toutes sortes, drolatiques, philosophiques, économiques, magnétiques et théosophiques, il reste encore ! Je n’ose me flatter d’avoir tout lu. Il y a quelque chose à goûter dans chacun sans doute ; mais combien de pertes et de prolixités ! Dans l’invention d’un sujet, comme dans le détail du style, M. de Balzac a la plume courante, inégale, scabreuse ; il va, il part doucement au pas, il galope à merveille, et voilà tout d’un coup qu’il s’abat, sauf à se relever pour retomber encore. La plupart de ses commencemens sont à ravir ; mais ses fins d’histoire dégénèrent ou deviennent excessives. Il y a un moment, un point où malgré lui il s’emporte. Son sang-froid d’observateur lui échappe ; une détente lui part, pour ainsi dire, au dedans du cerveau et enlève à cent lieues les conclusions : ainsi dans sa Recherche de l’Absolu, dont nous aurons tout à l’heure à parler ; ainsi dans ses excellens Célibataires, où son chanoine Troubert se grossit et s’exagère vers la fin au point de nous être donné comme un petit Richelieu. Le hasard et l’accident sont pour beaucoup jusque dans les meilleures productions de M. de Balzac. Il a sa manière, mais vacillante, inquiète, cherchant souvent à se retrouver elle-même. On sent l’homme qui a écrit trente volumes avant d’acquérir une manière ; quand on a été si long à la trouver, on n’est pas bien certain de la garder toujours. Aujourd’hui il enluminera un conte rabelaisien, et demain il nous déduira son Médecin de campagne. Pour en revenir à ma comparaison de M. de Balzac avec un alchimiste, je dirai que, même après la transmutation trouvée, cet alchimiste, qui n’a pas eu pleine connaissance de son procédé heureux, rétrograde parfois et revient à ses anciens tâtonnemens, qu’il retombe dans les scories et les dépenses infructueuses ; qu’il fait en beaucoup d’opérations de l’or très mêlé ou faux. On doit au reste en prendre son parti avec M. de Balzac et l’accepter selon sa nature et son habitude. Il ne faut pas lui conseiller de se choisir, de se réprimer, mais