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Dante.

en réponse. Il nous en est parvenu trois : l’un est attribué, mais faussement sans doute, à Cino da Pistoia, qui, n’ayant alors que quatorze ou quinze ans, ne pouvait guère être consulté sur des questions subtiles d’amour et de galanterie. Le second était de Guido de’ Cavalcanti, et le troisième, de Dante da Majano, assez mauvais rimeur, alors bien plus célèbre que Dante Alighieri.

Guido Cavalcanti et Cino da Pistoia, ou pour mieux dire le poète inconnu dont on a attribué le sonnet à Cino, prirent au sérieux la vision et la question du jeune Alighieri, et y firent une réponse courtoise. Dante da Majano ne les prit pas de même ; elles lui parurent l’une et l’autre tant soit peu folles ; et il donna charitablement, à celui qui les avait faites, un conseil équivalent à celui de prendre l’ellébore à larges doses.

Cette correspondance poétique si enfantine eut cependant pour Dante quelque chose de grave et d’utile ; elle fut pour lui une occasion de se lier de bienveillance ou d’amitié avec la plupart des poètes qu’il avait consultés sur sa vision, notamment avec Guido de’ Cavalcanti. Ce Guido, de l’une des plus illustres familles de Florence, et l’un des hommes remarquables de son temps, réunissait en lui les inclinations les plus vives et en apparence les plus disparates, les poursuites de la chevalerie et le goût des études philosophiques, la culture de la poésie et les préoccupations les plus ardentes de l’esprit de faction. Dante et lui, en se connaissant, se trouvèrent des sympathies qui résistèrent à mainte dangereuse épreuve, et ne furent détruites que par la mort,

Dante fut enhardi à de nouveaux essais poétiques par le succès du premier. On le voit durant six ans consécutifs, de 1283 à 1289, uniquement occupé de poésie, incessamment tourmenté du besoin d’exprimer quelque chose de cet enthousiasme d’amour dont le remplit Béatrix, et se surpassant lui-même à chaque nouvel effort qu’il fait pour trouver des images, des paroles, une harmonie, qui aillent à ses émotions et à ses idées.

Ce fut indubitablement dans ce même intervalle que lui vint la première pensée, le projet encore informe et vague de la composition qui fut depuis la Divine Comédie.

Tout en cultivant son génie poétique, Dante devenait un homme, et arrivait à l’âge de prendre une détermination sur son avenir. Il y a lieu de croire qu’il flotta quelque temps entre des partis très divers, et c’est probablement à cette époque de sa vie qu’il faut rapporter le projet qu’il eut de se faire moine. Ce projet est attesté par deux des commentateurs les plus anciens et les plus instruits de la Divine Comédie. L’un des deux va jusqu’à dire que Dante porta un moment l’habit de saint François, et le quitta avant d’avoir fait profession.