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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

À des poèmes ainsi conçus le recueillement et la méditation de l’acteur pouvaient être un secours inappréciable. Mais, au-delà d’un temps difficile à prévoir, la réflexion aurait glacé l’invention du poète. Il fallait, et c’est une nécessité sur laquelle on ne saurait insister, il fallait donner à l’improvisation un champ large, une libre carrière. Pratiqué de cette manière, l’art scénique est plein de périls et de pièges. C’est un duel sans cesse renouvelé entre l’acteur et l’auditoire. Ce qui plaisait hier n’est pas sûr de plaire aujourd’hui. L’élan qui a paru sublime paraîtra peut-être emphatique et trivial. Comme les moyens manquent pour préparer sûrement l’émotion voulue, il faut se fier à soi-même, n’écouter que l’inspiration, inventer chaque jour sur nouveaux frais.

Assurément la tâche est pénible. Pour la mener à bonne fin, il faut un courage inébranlable, une richesse de nature qui ne redoute pas l’échec d’une soirée. Dans ce qui-vive perpétuel, dans cet abandon aléatoire d’une renommée justement acquise, il y a quelque chose de généreux, et je dirais volontiers quelque chose d’héroïque.

C’est pourquoi la nouvelle école dramatique doit à Mme Dorval une reconnaissance inviolable ; c’est pourquoi elle doit espérer en elle et ne pas hésiter à lui confier ses nouvelles destinées. Car la réforme dramatique de la restauration n’est pas à la veille de s’arrêter. On a touché la terre ; mais il faut bâtir la ville et la coloniser. Naisse la poésie ! et l’actrice ne fera pas défaut.


Gustave Planche.