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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

elle doit vouloir la mort de celle qui lui ravit son amant ; elle doit lutter contre l’obstacle, lutter à sa manière et préférer la force à la ruse. Si elle n’était pas contadine, si elle avait un palais et une illustre généalogie, elle songerait à des armes plus sûres, et qu’elle ignore, la calomnie, le dédain. Pour ranimer la ferveur d’un amant blasé, à son tour elle exciterait sa jalousie, et la vanité lui ramènerait le cœur inconstant à qui le bonheur ne pouvait suffire.

La composition du premier acte a pleinement justifié le second. Les plus ignorans pressentaient ce qui allait arriver ; et quand Margarita, se tournant vers lady Byron, lui a dit d’une voix étouffée par la colère : Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? dites que ce n’est pas vrai ! un long frémissement a parcouru l’auditoire ; mais l’émotion n’avait rien d’inattendu. L’actrice avait préparé de longue main l’effet tout-puissant qu’elle a produit.

Il y avait dans ce rôle ainsi conçu deux écueils à craindre. Si, pour atteindre au pathétique, Margarita eût mis dans ses manières une dignité continue ; si elle avait soumis l’accent de sa voix, le rhythme de sa parole, à des lois régulières et uniformes, elle aurait altéré la simplicité naïve de son caractère ; et si, pour donner à sa tendresse plus de charme et d’abandon, elle ne savait pas s’arrêter devant la légèreté, l’émotion devenait impossible, et l’unité du rôle n’existait plus.

Par bonheur Mme Dorval a vu le danger et fait bonne garde ; elle n’a été ni guindée, ni triviale ; entre la reine tragique et la fermière d’opéra, elle a trouvé, elle a créé un type nouveau, un type vrai, le type de Margarita.

Comme il ne manque pas de gens qui circonscrivent le talent dans un espace précis et infranchissable, ç’a été, nous devons le reconnaître, un étonnement général, et presque une joie mêlée de colère parmi ces crédulités entêtées, quand l’actrice, habituée à l’expression des passions violentes et désordonnées, s’est montrée pleine de grâce et de gentillesse, d’élégance et de laisser-aller. Déjà pourtant elle avait paru sous les traits de Jeanne Vaubernier et de la comtesse Almaviva. Mais la foule est ainsi faite : elle ne consent à l’admiration que sous des conditions sévères ; elle estime de Raphaël ses madones, et passe devant l’histoire de Psyché ; de Rubens, ses naïades charnues, et ne se souvient pas de la descente