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Dante.

fut pourtant ce qui arriva, s’il en faut croire Dante lui-même. Voici en quels termes il parlait de cette entrevue dix-huit ans après, lui déjà homme fait, déjà lancé dans la vie orageuse de son époque, et Béatrix déjà morte. « Cette dame, dit-il, cette glorieuse dame de mes pensées, qui fut nommée Béatrix par bien des gens qui ne savaient pas ce qu’ils nommaient en la nommant, m’apparut au commencement de sa neuvième année, moi étant presque à la fin de la mienne. Elle m’apparut vêtue de noble et décente couleur pourpre, et parée comme il convenait à son jeune âge. Je dis, en vérité, qu’au moment de cette apparition, l’esprit de la vie, qui séjourne dans les réduits du cœur les plus secrets, commença si fortement à trembler en moi, qu’il semblait dire : Voici, voici venir le Dieu plus fort que moi, qui me dominera !… Je dis qu’à dater de ce moment, l’amour régna sur mon ame d’une manière si absolue et avec tant d’empire, qu’il me fallait faire pleinement toutes ses volontés. Il me commandait souvent, dans mon enfance, de chercher à voir ce jeune ange ; et souvent aussi je la cherchais, et je voyais toujours en elle quelque chose de si parfait et de si gracieux, que l’on aurait certes bien pu dire d’elle la parole d’Homère : « Elle ne semblait pas la fille d’un mortel, mais d’un Dieu. »

Ce passage est tiré d’un opuscule que Dante a intitulé la Vita nuova, la vie nouvelle, ouvrage bizarre et plein d’enfantillages pédantesques, mais curieux et d’une grande importance pour l’étude du caractère et du génie de Dante.

Il est certain que Béatrix apparut à Dante comme un être surnaturel, qui devint aussitôt l’objet de ses plus douces pensées ; il est certain que le sentiment dont il s’éprit pour elle devait être le mobile de ce qu’il y avait de plus élevé et de plus pur dans son génie. Ce sentiment fut, dans son ame, le seul toujours exempt d’amertume, le seul qui pût se mêler encore aux idées pieuses de ses dernières heures.

Le premier malheur de Dante fut la mort de son père, qu’il perdit étant encore enfant. Il paraît que sa mère ne négligea rien pour son éducation ; mais on n’a aucun détail précis sur ses études. Il étudia très probablement à Bologne, dans sa jeunesse, mais on ne sait ni quoi, ni sous quels maîtres. Le seul homme que la tradition désigne comme lui ayant enseigné quelque chose, est Brunetto Latini, notaire de la république de Florence, et l’un de ses plus illustres personnages, qui avait heureusement associé la culture des lettres au maniement des affaires publiques. On a de lui divers ouvrages qui ne sont pas sans intérêt pour leur époque : Le Trésor, espèce d’exposé en prose française de toutes les connaissances alors cultivées, et le Tesoretto, autre traité moral et scientifique, en vers italiens.