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LOUIS xiii ET RICHELIEU.

tellement remplie qu’on ne pouvoit s’y tourner. Il demanda s’il n’y avoit pas là un gentilhomme à luy. Le père du maréchal de Tourville, qui étoit à luy, et qu’il donna depuis à monsieur le Prince comme un gentilhomme de mérite et de confiance, lors du mariage de monsieur son fils avec la fille du maréchal de Brézé, fendit la presse et vint à luy. Il le tira dans une fenestre, et luy dit à l’oreille d’aller sur-le-champ chez le Cardinal de Richelieu luy dire de sa part qu’il sortoit actuellement du cabinet du Roy, pour luy mander qu’il vinst ce soir même trouver sur sa parole le Roy à Versailles, et qu’il rentroit sur-le-champ dans le cabinet, d’où il n’étoit sorti que pour lui envoyer ce message. Il y rentra en effet, et fut encore une heure seul avec le Roy.

« À la mention d’un gentilhomme de la part de mon père, les portes du Cardinal tombèrent, quelque barricadées qu’elles fussent. Le Cardinal, assis tête à tête avec le cardinal de La Valette, se leva avec émotion dès qu’on le luy annonça, et alla quelques pas au-devant de luy. Il écouta le compliment, et transporté de joie, il embrassa Tourville des deux côtés. Il fut le jour même à Versailles, où il arriva des Marillacs[1] le soir même, comme chacun sait. »


Cette victoire ministérielle assura la haute administration du royaume au cardinal de Richelieu. On a conservé de lui quelques lettres qui se rapportent à cette époque. Elles sont loin d’annoncer l’humeur altière, l’insensibilité, l’arrogance dans le succès, et cet ensemble de traits durs et saillans dont est formé son caractère traditionnel. Sa correspondance laisserait plutôt deviner un homme insinuant, artificieux ; assez redoutable par sa finesse et la séduction de ses manières, pour être sérieusement soupçonné de magie ; vaniteux à l’excès ; moins ambitieux, on le dirait du moins, de gouverner que d’être aimé et applaudi ; plein de courtoisie avec les indifférens, libéral envers ses amis ; d’une

  1. Le garde des sceaux, de Marillac, favori de la reine-mère, devait remplacer Richelieu qui lui-même se croyait perdu. Le maréchal de Marillac, qui commandoit l’armée d’Italie, reçut en même temps deux courriers : l’un lui apportait la nouvelle de l’élévation de son frère à la première dignité du royaume ; l’autre une accusation de haute trahison qui le conduisit à l’échafaud.