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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

touchent à leur fin. Mais c’est justement là notre triomphe : nous avons poussé nos adversaires dans la discussion, et ils sont obligés de parler.

Donc, comme je viens de le dire, depuis que la religion chercha assistance auprès de la philosophie, les savans allemands firent avec elle encore toutes sortes d’expérimentations. On avisa de lui faire une nouvelle jeunesse, et l’on s’y prit à peu près comme Médée avec le vieux roi Æson. D’abord on lui ouvrit la veine, et on la débarrassa longuement de tout le sang superstitieux. Pour parler sans figure, on essaya de retrancher du christianisme toute la partie historique, pour ne lui laisser que la partie morale. Par cette opération, on faisait du christianisme un déisme pur. Le Christ cessa d’être co-régent de Dieu ; il fut en quelque sorte médiatisé, et ce ne fut plus qu’en qualité de personne privée qu’on lui accorda le respect convenable. On loua par-delà toute mesure son caractère moral, et l’on ne sut en quels termes élogieux dire combien il avait été brave homme. Quant à ses miracles, on les expliqua par la physique, ou bien l’on chercha à en faire aussi peu de bruit que possible. Les miracles, disaient quelques-uns, étaient nécessaires dans ces temps de superstition, et un homme sensé, qui avait à proclamer une vérité quelconque, employait les miracles en guise d’annonce. Ces théologiens qui tronquèrent tout l’historique du christianisme s’appellent rationalistes, et ils soulevèrent contre eux les fureurs des piétistes tout aussi bien que des orthodoxes. Ceux-ci se combattirent moins violemment depuis lors, et se confédérèrent même souvent. Ce que n’avait pu l’amour chrétien, la haine commune l’accomplit, la haine des rationalistes.

Cette réforme de la théologie protestante commença avec le tranquille Semler, que vous ne connaissez pas, atteignit une hauteur inquiétante avec le lucide Teller, que vous ne connaissez pas davantage, et parvint à son apogée avec Barth au front d’airain, dont la connaissance n’est pour vous nullement regrettable. Les instigations les plus vives vinrent de Berlin, où régnaient Frédéric-le-Grand et le libraire Nicolaï.

Sur le premier, le matérialisme couronne, vous avez des renseignemens suffisans. Vous savez qu’il fit des vers français, joua très bien de la flûte, gagna la bataille de Kosbach, prit beaucoup de