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ainsi dire, comme le souffle divin que le créateur du monde a inspiré au corps humain, ouvrage de ses mains, pétri de limon. Les Juifs regardaient en conséquence le corps comme quelque chose de méprisable, comme la misérable enveloppe du rouach, du souffle divin, de l’esprit ; ce n’est qu’à celui-ci qu’ils accordaient leur considération, leur respect, leur culte. Ils furent donc, à proprement parler, de préférence le peuple de l’esprit, chastes, sobres, sérieux, abstraits, entêtés, propres au martyre, et Jésus-Christ les résuma de la manière la plus sublime. Celui-ci fut, dans la véritable acception du mot, l’esprit incarné, et l’on trouve un sens bien profond dans la belle légende qui le fait enfanter par une vierge pure de corps et fécondée par la seule opération de l’esprit.

Mais si les Juifs n’avaient regardé le corps qu’avec dédain, les chrétiens, ultras du spiritualisme, allèrent encore plus loin qu’eux dans cette voie et proclamèrent le corps comme réprouvable, mauvais, comme le mal même. Nous voyons, quelques siècles après Jésus-Christ, s’élever une religion qui fera l’éternel étonnement de l’historien et arrachera aux générations de l’avenir l’admiration la plus frémissante. Oui, c’est une grande et sainte religion que le christianisme, pleine d’une douceur infinie, qui voulut conquérir pour l’esprit la domination la plus absolue dans ce monde… Mais cette religion était par trop sublime, trop pure, trop bonne pour cette terre où l’idée n’en put être proclamée qu’en théorie, sans jamais passer complètement dans la pratique. L’essai d’une réalisation de cette idée a enfanté dans l’histoire une foule d’actes d’enthousiasme, et les poètes de tous les temps en auront ample matière à dire et à chanter. Mais la tentative de réaliser l’idée du christianisme a pourtant, comme nous le voyons enfin, échoué de la manière la plus déplorable, et cet essai avorté a coûté à l’humanité des sacrifices incalculables ; et nous en retrouvons les tristes conséquences dans le malaise social que nous ressentons aujourd’hui par toute l’Europe. Si, comme beaucoup de gens le croient, l’humanité est encore dans sa jeunesse, le christianisme est sans doute une de ses plus généreuses illusions universitaires, qui font plus d’honneur à son cœur qu’à son jugement. Toute la matière, le christianisme l’abandonna à César et aux banquiers talmudistes, et se contenta de dénier la