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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

M. Schelling a marché en reprenant la trace de Fichte, et comment, errant un beau jour dans les sombres forêts de la philosophie de la nature, il s’y est trouvé enfin face à face avec la grande figure de Spinosa.

La moderne Philosophie de la nature n’a que le mérite d’avoir démontré de la façon la plus pénétrante l’éternel parallélisme qui règne entre l’esprit et la matière ; je dis esprit et matière, et j’emploie ces expressions comme équivalentes de ce que Spinosa nomme pensée et étendue ; je regarde aussi ces expressions comme synonymes de ce que les philosophes allemands nomment esprit et nature ou l’idéal et le réel.

Dans la suite, je donnerai le nom de panthéisme moins au système qu’au point de vue de Spinosa. Comme dans le déisme, on y admet l’unité de Dieu ; mais le Dieu des panthéistes est dans le monde même, non pas qu’il le pénètre de sa divinité, comme jadis saint Augustin essaya de l’expliquer, quand il comparait Dieu à un grand lac et le monde à une éponge qui nage au milieu et se gonfle de divinité : non, le monde n’est pas seulement gonflé et imprégné de Dieu ; il est identique avec Dieu ; Dieu, que Spinosa nomme la substance unique, et les philosophes allemands l’absolu, « est tout ce qui est, » il est la matière autant que l’esprit ; tous les deux sont également divins, et quiconque insulte la Matière Sainte est impie tout autant que celui qui pèche contre le Saint-Esprit.

Le Dieu des panthéistes se distingue donc de celui des déistes en ce qu’il est dans le monde même, pendant que celui-ci est en dehors, ou, ce qui revient au même, est au-dessus du monde. Le Dieu des déistes gouverne le monde de haut en bas comme un établissement séparé de chez lui ; ce n’est que sur le mode de ce gouvernement que les déistes se divisent entre eux. Les Hébreux se représentent Dieu comme un tyran armé d’un tonnerre ; les chrétiens comme un père rempli d’amour ; les élèves de Rousseau et toute l’école genevoise en font un artiste habile qui a fabriqué le monde à peu près comme leurs pères confectionnent leurs montres ; et en leur qualité de connaisseurs, ils admirent l’ouvrage et glorifient le maître qui est là-haut.

Pour le déiste, qui admet un Dieu extrà-mondain ou super-mondain, il n’y a de saint que l’esprit, parce qu’il le considère, pour