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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

scolastiques, comme je l’ai déjà remarqué précédemment, avaient au contraire, non-seulement accordé la suprématie à la religion sur la philosophie, mais encore déclaré celle-ci un jeu futile, un vain exercice d’escrime, aussitôt qu’elle arrivait à contredire les dogmes religieux. Pour les scolastiques, le point principal était d’exprimer leurs pensées, n’importe sous quelle condition. Ils disaient d’abord : « Une fois un fait un, » et le prouvaient ; mais ils ajoutaient en souriant : « C’est là une des erreurs de la raison humaine qui se trompe toujours quand elle se met en contradiction avec les décisions des conciles œcuméniques ; une fois un fait trois, et c’est là la vérité vraie, telle qu’elle nous a été révélée depuis par la grace du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Les scolastiques formaient en secret une opposition philosophique à l’église, mais en public ils feignaient la plus grande et la plus hypocrite soumission. En mainte occasion, ils combattirent pour l’église, et ils paradaient à sa suite dans les grandes cérémonies, à peu près comme les députés français de l’opposition dans les solennités de la restauration.

La comédie des scolastiques dura plus de six siècles, et elle devint de plus en plus triviale. En détruisant le scolasticisme, Descartes détruisait l’opposition caduque du moyen-âge ; les vieux balais s’étaient émoussés par suite d’un trop long service ; trop d’ordures s’y étaient attachés, et le temps nouveau avait besoin de balais neufs. À la suite d’une révolution, il faut que la précédente opposition abdique, sans quoi il se fait de grandes sottises. Nous-mêmes l’avons vu. Dans les temps dont je parle, ce fut moins l’église catholique elle-même que ses vieux adversaires, la mauvaise queue des scolastiques, qui s’éleva contre la philosophie cartésienne. Le pape ne la défendit qu’en 1663.

Je dois supposer chez les Français une connaissance suffisante de la philosophie de leur grand compatriote, et n’ai pas besoin de démontrer ici comment les doctrines les plus opposées ont pu lui emprunter les matériaux qui leur étaient nécessaires : je parle d’abord de l’idéalisme et du matérialisme.

Comme on désigne ordinairement, surtout en France, ces deux doctrines sous les noms de spiritualisme et de sensualisme, et que j’ai l’habitude d’employer dans une autre acception ces dernières dénominations, je dois, pour prévenir toute confusion d’idées, tout