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REVUE LITTÉRAIRE.


La Philosophie de la tradition[1] est un livre très important et très significatif : il dérive des tendances qui poussent l’Allemagne à sortir du christianisme en l’exagérant ; c’est une vue théosophique touchant l’origine et les développemens de l’humanité. Le procédé de ce mysticisme est bien simple ; il consiste à emprunter à l’époque présente ses désirs et ses idées, et à les légitimer non point par la force actuelle et vivante de l’humanité, mais par les comparaisons et les interprétations des anciennes sectes. Les vérités de notre temps ne peuvent conserver leur intégrité en passant de la sorte au tamis des traditions mystiques ; et cette seconde vue des superstitions qui tombent sera aussi inhabile à les soutenir, que les efforts analogues de Julien pour aviver le paganisme furent impuissans à intercepter la foi chrétienne.

Le mysticisme de M. Molitor est particulièrement judaïque ; il argumente de la thorah et de la m’sorah beaucoup plus que des évangiles ; il fait disparaître Jésus sous Moïse, et Moïse sous les rabbins. En établissant l’équation de la cabale et du christianisme, M. Molitor a restitué l’une et l’autre à leur place historique ; il a retrouvé au point de vue de la foi l’identité de la philosophie et de la religion, qu’on a reconnue en France au point de la raison. L’école dont M. Molitor relève aspire à conduire le christianisme à une philosophie idéale-réelle ; d’autres écoles travaillent à amener l’humanité au même terme. Cette dernière mission nous semble plus sérieuse, parce qu’elle est plus positive.

À en juger par ses antécédens, l’Allemagne ne prendra part à l’action politique de l’Europe qu’en vertu de la philosophie. Nous devons regarder l’acharnement qu’elle met à condenser tous les systèmes comme le signe précurseur d’une réalisation. Or, il est bien certain que le judaïsme doit opérer pour sa part dans le mouvement philosophique qui travaille l’Allemagne. M. Molitor représente dignement la science hébraïque au congrès des opinions contemporaines. En France, la savante traduction de la Bible, publiée par M. Cahen, a marqué l’heure d’une semblable élaboration ; mais nous avons l’heureuse hardiesse de soumettre toutes les études à l’unité moderne que nous portons dans nos entrailles, et de faire d’ensemble ce que l’Allemagne ne peut mener à bien avec plus de savoir, parce qu’elle a moins de discernement ou trop de prudence.

M. Molitor appartient à l’école des Baader et des Gœrres, dont l’idéalisme élevé passe de l’étude des traditions aux spéculations les plus ab-

  1. Philosophie de la tradition, par J.-F. Molitor, traduit de l’allemand par Xavier Quris, 1 vol. in-8o ; Paris, chez Gaume frères, rue du Pot-de-Fer.