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la version allemande de Mlle Thérèse Jacob. La guerre est le sujet principal des rapsodies nationales de la Servie, parce qu’elle est la trame de toute son histoire. Parqués entre le Danube, l’Adriatique et le Balkan, les Serviens ont lutté successivement contre les Bulgares de l’est, contre les monarchies militaires du nord, contre l’invasion et la souveraineté ottomanes. Aussi le caractère de leur littérature est-il spécialement héroïque. Mais l’amour s’y joint plus souvent et plus affectueusement qu’à l’épopée homérique. On sent que le christianisme et la Germanie ont passé par là et s’y conservent.

La condition misérable des Serviens explique suffisamment la brièveté de leurs récits populaires. Ces chants de l’esclavage n’ont pas la longue haleine des libres poésies de la démocratie grecque. Rien n’empêcherait toutefois qu’on ne groupât les plus indifférentes de ces ballades autour des plus considérables. Les aventures de Marko, fils de roi, pourraient, par exemple, servir de centre à toute une fable épique qui rallierait facilement en un faisceau les témoignages dispersés du patriotisme servien. C’est probablement ainsi qu’on a fait à l’égard des chants homériques. Mais cette falsification, qui ne gâterait pas sensiblement la vérité, n’accroîtrait pas non plus la valeur de ces admirables poésies.

Et si la grandeur d’une littérature se mesure à l’influence qu’elle exerce sur les destinées humaines, quelle littérature pourra se dire plus grande que celle des Serviens ? Elle a tiré un peuple de la servitude. Ces chants, colportés sur les montagnes de la Bosnie et de l’Herzégowine, y entretenaient le souvenir de la vaillance antique et la haine héréditaire contre le despotisme musulman. Depuis plus de deux siècles, les Turcs étaient établis en maîtres dans les villes et dans les forteresses serviennes, lorsque, au commencement de celui-ci, les guerres de la Russie et de la Porte permirent aux peuplades opprimées de recueillir leur part de l’insurrection que la révolution française venait de semer à travers les nations. Le héros George Pétrowitch commença la délivrance de son pays. Le prince Milosch la mena à terme. Le 22 novembre 1833, le sultan Mahmoud l’a reconnue. La Servie est actuellement admise à s’administrer elle-même par une assemblée nationale, plus démocratique que nos chambres constitutionnelles. Il est vrai qu’elle doit cet affranchissement à la promesse d’un tribut annuel de 13,000,000 piastres turques, réparti par l’assemblée. Voilà comment, dans l’ère moderne, toutes les voies conduisent à la liberté. La poésie et l’or rompent leur ancien divorce pour conspirer à l’émancipation du monde.