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étrangères tournent à notre honte les bienfaits qu’elles ont reçus de nos pères, c’est qu’elles ignorent comment nous entendons continuer notre tradition. Certes, nous n’aurons pas besoin d’atténuer la gloire du xviiie siècle pour nous faire grands. Notre mérite consistera à augmenter l’héritage qu’il nous a laissé ; et quelle qu’ait été jusqu’à présent l’étourderie de notre jeunesse, nous n’avons pas épuisé en vaines prodigalités la sève de notre tronc héréditaire. Toutes les discussions qui ont été élevées, toutes les frivolités qui ont été brodées, toutes les fureurs qui se sont déchaînées, tout ce qu’on a imaginé de vertus ou de vices, tout ce qu’on a essayé de mouvemens et même de réactions, toute la poésie et toute la métaphysique que le xixe siècle a faites, ont un sens dont on peut montrer l’avenir. La France a toujours été en possession de dire aux nations européennes le dernier mot de chaque siècle.

La critique française doit prendre des termes plus généraux pour apprécier fidèlement l’ensemble de notre mouvement littéraire. Elle a établi des distinctions qui, à un certain point de vue, s’effacent ; elle a érigé des suprématies dont elle peut comparer la valeur sous des faces nouvelles. Après s’être si habilement, si puissamment servie du procédé analytique et de la contemplation individuelle, il ne sera pas inutile qu’elle use quelquefois un peu de la vue d’ensemble et de l’étude des parallélismes, qu’elle rapproche les écoles et les partis, qu’elle rattache les étoiles naissantes aux constellations déjà formées, qu’elle compte les troupes, qu’elle assiste à la mêlée et raconte les batailles, qu’elle nomme les héros du jour à côté des guerriers éprouvés depuis long-temps. La critique se placera ainsi sur le terrain de la réalité complète et vivante.

La supériorité du mouvement intellectuel qui s’accomplit en France s’est révélée particulièrement depuis deux ans par l’unité démocratique où convergent les génies suprêmes du temps, La Mennais, Châteaubriand. Béranger les attendait déjà sur ce sommet ; George Sand est allé les y chercher.

Mais ce n’est pas seulement de ces hauteurs qu’on découvre quelle vie nouvelle et inextinguible les arts se sentent venir. Ce n’est pas seulement dans ces têtes sublimes qu’on peut lire notre prédestination. Tout ce qui pousse d’espérances autour de ces grands feuillages, tout ce qui naît çà et là d’inconnu, d’anonyme, même de trop imparfait, porte le signe de cette promesse générale, et contient dans son éphémère existence un reflet de la force qui anime tout l’ensemble.

Aussi nous oserons descendre dans le courant de la bibliographie ordinaire, sans craindre que le trouble ou la faiblesse de ses inexpériences nous fasse jamais regretter le passé, ni désespérer de l’avenir des arts.