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STATISTIQUE MORALE.

sur des grabats qui leur appartiennent, au centre des quartiers qu’ils affectionnent de temps immémorial. Les voilà rassemblés, mais non pas unis. Un maître a sa chambrée d’enfans ou d’apprentis ; autant son voisin. Ils se connaissent tous et ne s’en aident pas davantage. Ce sont des ours dans leurs tanières ; point de lien de commune, de province ni de patrie ; la famille et ses besoins, ils ne vont pas au-delà.

La colonie des Savoyards a pris une forme plus avancée de république. Ce n’est plus la famille, c’est déjà la commune, ce n’est pas encore la province ni l’état. Si vous avez parcouru ces étroites vallées qui descendent comme autant de torrens du mont Cenis, du mont Blanc, du mont Maudit, vers l’Isère ou vers le Rhône, parsemées de petites villes qui n’ont pas de centre et de villages sans communications, vous retrouverez la Savoie à Paris, moins les montagnes. C’est la même division topographique ; ici les gens de Moutiers, là ceux de Saint-Jean-de-Maurienne, plus loin ceux de Sallanche, et au-delà encore ceux de Conflans ; une commune par quartier. Ils ne se mêlent pas : chaque commune a ses limites qu’elle ne franchit ni ne laisse franchir. C’est son territoire, son patrimoine ; c’est de là qu’elle invite incessamment, par ses conseils ainsi que par l’exemple de sa prospérité, les compatriotes jeunes et hardis à venir partager l’exploitation. Cette possession date de loin, mais il n’est pas nécessaire de produire ni de faire valoir des titres de propriété. C’est une tradition établie : les anciens l’apprennent aux nouveaux-venus qui la transmettront à leurs successeurs, sans qu’aucun d’entre eux songe à la contester.

Ainsi, pour chaque commune, une colonie ; pour chaque colonie, un quartier. L’association ne s’étend pas plus loin. De commune à commune point de rapports, nulle fraternité ; on dirait autant de races étrangères, quoique semblables. Entre les membres d’une même commune, frères, parens, amis, l’union est grande au contraire. Éloignés de leurs familles, ils savent que c’est là leur seule force contre les accidens du travail. D’ordinaire, ils se réunissent trois ou quatre pour louer une chambre qu’ils garnissent proprement et où ils vivent à frais communs. Le dimanche, ou bien le soir d’un jour de fatigue, la commune s’assemble chez le camarade le plus ancien ou le mieux logé ; là, les entretiens rou-