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STATISTIQUE MORALE.

vriers en soie, et deviennent, suivant la chance, compagnons tisseurs, imprimeurs sur étoffes, dessinateurs ou chefs d’atelier. Quinze cents maçons ou tailleurs de pierre, sortis en grande partie du Faucigny, se répandent dans nos villes de l’est et du midi. À Paris, les Savoyards ont le monopole de ces fonctions délicates qui exigent encore plus de discrétion que de probité ; ce sont les Mercures de la grande ville. Commissionnaires, garçons de recette ou de bureau, valets de chambre, hommes de confiance, commis, marchands en détail, on les aperçoit à tous les coins de nos rues et de nos places publiques. Ils remplissent les avenues de la Banque, des postes, des messageries, des administrations. Depuis les fardeaux les plus grossiers jusqu’aux objets les plus précieux, toute la richesse mobilière de la capitale, le mouvement de son commerce et les produits de son industrie, circulent sous la garde de leur bonne foi. Dans une situation pareille, les portefaix à Marseille sont les maîtres de la ville et du port. Mais il ne viendra jamais à la pensée d’un Savoyard qu’il puisse se prévaloir d’un avantage ou d’une position. Cette race d’hommes à l’instinct d’acquérir, elle ne s’élève point à l’ambition de commander.

La colonie n’a pas toujours été aussi riche ni aussi nombreuse. De 1789 à 1814, Paris reçut assez peu d’émigrans ; la guerre avait tué cette industrie. C’est à dater des premières années de la restauration, et surtout depuis 1820, que le mouvement d’émigration a été vraiment prononcé. Parmi les causes qui le déterminèrent, il faut compter pour beaucoup la paix qui laissait tant de bras sans emploi ; mais l’attrait si puissant qui les précipita par troupes sur le chemin de Paris, ce fut la nouvelle des magnifiques bénéfices qui étaient échus aux premiers arrivés. L’émigration devint alors une sorte d’épidémie régulière qui décima les villages et qui les dépeupla de leur jeunesse. Encore aujourd’hui, bien que cette ferveur se soit un peu ralentie depuis juillet, et que les affaires aient changé leurs cours, il y a telle commune de la Savoie où l’on ne trouverait pas un jeune homme de vingt-cinq ans ; telle autre compte à elle seule, dans la colonie parisienne, pour trois cent cinquante à quatre cents individus.

Ils sont vingt mille à Paris, répartis dans les divers quartiers. La masse des émigrans s’est groupée autour des principaux centres