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L’ARÉTIN.

plutôt qu’à une femme[1] ; il veut que la Caterina (la plus puissante des Arétines) l’embrasse comme une sœur ; il jure que de sa vie il n’a rien contemplé de pareil, et que jamais jeune personne aussi jolie n’a tenu ses attraits plus vertueusement enfermés dans le rocher de sa vertu (c’est son style). Il s’attendrit jusqu’à verser des larmes en la voyant souffrir ; il l’envoie à la campagne, sur les bords de la Brenta, dans l’espoir[2] que la beauté du site, l’influence salutaire d’un air pur, la nouveauté du spectacle et la distraction lui feront du bien. C’est une tendresse si vraie et si vive, qu’on est tenté de l’aimer à son tour, cet Arétin. La voici couverte de brocard d’or, de perles, de velours et de soie[3]. Cependant la pauvre enfant languit, sa maladie s’aggrave. L’Arétin oublie tout pour elle ; bientôt le mal prend une forme hideuse et dégoûtante ; les poumons de Riccia se détachent par lambeaux purulens ; il ne se décourage pas ; il ne quitte plus son lit ; il appelle les médecins les plus célèbres ; il la veille, il la soigne, il baise ces yeux flétris, ces joues brûlantes, ces lèvres imprégnées de sanie (il mostruoso de gli occhi, l’orrido delle guance e lo schifo de la bocca), comme si ces yeux, ces joues et ces lèvres eussent conservé leur éclat et leur fraîcheur natives. Combien de fois, pendant l’hiver, après l’avoir transférée dans une ville voisine, que les médecins jugeaient plus favorable à son rétablissement, fut-il obligé de vaincre, à force de présens et de promesses, les refus des barcarols que le mauvais temps effrayait, et qui ne voulaient pas exposer leur vie !

« Souvent, dit-il, pendant le plus cruel décembre, le plus affreux janvier, le plus triste février que l’on ait subis, il ne pouvait trou-

  1. L’amor che quattro padri tenerissimi portano ai lor figliuoli, non arrivarebbe a la minor parte del ben’, ch’io voglio a si viva ed a si leggiadra fanciulla, la bontà de la quale tien’ chiusa la bellezza sua nella rocca de l’honesta in un’ modo si accorto, e si piacevole ; che mi fa lagrimar’ di piacere pur’ a pensarci : come è possibile che ella in men’ di xiiii anni habbia saputo elerggersi un’ marito, che habbia piu caro lei, che le sue cose ? Io vado perdendo i giorni interi nel considerare, mentre cuscie, legge, ricama, e quando assetta e se, e robbe proprie, a la maniera de la politezza, che ella si ha portata della culla, etc.
  2. id. pag. 144, 145.
  3. id. t. 2, pag. 221.