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L’ARÉTIN.

de la grosse somme d’argent que mon serviteur a perdue au jeu, chez vous, pendant que vous étiez là : chose indigne d’un manant, et encore plus d’un cardinal ! Certes, monseigneur, la longue amitié qui me liait à monseigneur Luigi, à messer Giovanni, à Sinibaldo et à vous méritait récompense et non assassinat. Mais je m’émerveille que vous ayez osé manquer de respect, maître Nicolas, non pas à moi, non pas à moi, maître Nicolas ; mais à ce roi, qui a donné de la gloire à votre indignité, à ce roi dont la libéralité dépasse vos espérances. Le don était encore dans la bourse royale, quand vous l’avez pris. Mais vous ne seriez pas bon prélat, si vous aviez la moindre reconnaissance des bienfaits reçus. Aussi n’ai-je pu résister au besoin de me venger de votre injure ; et cette vengeance, vous la verrez bientôt imprimée. En attendant, je baise les mains à votre illustrissime seigneurie, moi qui honorerais le rang que vous déshonorez. »


Quelle colère ! ô Pierre Arétin ! On lui a volé les écus qu’il volait à François Ier. Et il ne se fâche pas contre Ambroise, pauvre, besoigneux et coupable, mais contre l’innocent et puissant cardinal, qu’il effraie et qui rendra les six cents écus. — Le cardinal les rendit.


Mais cette vie impure trouva sa punition, une punition bien étrange.


Il y avait à Venise une jeune fille de quinze ans, pâle et svelte, singulièrement belle et plus jolie que belle. C’était cette beauté triste des poitrinaires, une grâce toute spéciale, et souffrante, éthérée, vague et presque transparente ; une existence morbide et délicate dont l’Arétin parle avec transport ; une élégance et une douceur naturelles[1] ; ce quelque chose d’aérien et de mélancolique, commun dans les régions du Nord, et qui devait sembler prodige sous le soleil méridional. Elle se nommait Perina Riccia.

  1. Lettere, t. 1, 148