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tesse avec moi, m’a dit que tout jeune homme que j’étais, j’avais acquis déjà la sagesse des vieillards ; il aurait désiré que je lui eusse parlé d’Alger et de Charles x, mais ces questions-là sont devenues pour moi tellement lieux communs dans mes entretiens avec les gens du pays, que je cherche à y échapper autant que je puis ; d’ailleurs je ne suis point venu ici pour parler des choses d’Europe, mais pour étudier l’Orient. Pendant notre conversation, à laquelle prêtaient l’oreille une vingtaine d’Arabes, deux fellahs du village de Djora, près d’Ascalon, ont été introduits pour vider une querelle : il s’agissait d’un chameau que l’un avait vendu à l’autre ; le fellah qui avait vendu le chameau, mécontent du marché, voulait reprendre sa bête et rendre l’argent ; l’autre refusait de rompre le marché ; les deux plaignans ont pu s’expliquer en toute liberté. « Ce qui est une fois vendu ne peut plus être repris, » tel a été le jugement du mutselim ; l’Arabe qui demandait à reprendre son chameau, a été mis à la porte par les gardes.

Le séraïa est un grand édifice avec des cours et des salles nombreuses, avec des terrasses d’où la vue s’étend au loin ; mais le palais tombe de vieillesse, et le mutselim ne donne rien pour l’empêcher de crouler. Si je parcourais le budget des dépenses de tous les mutselims de l’empire, je n’y trouverais pas une seule piastre pour les frais de réparation ; les ministres musulmans se regardent comme des voyageurs dans les différens postes où la faveur les place ; le palais qu’ils habitent est pour eux comme un khan où l’on s’arrête un jour, et aucun d’eux ne songe à faire la dépense d’une pierre pour une demeure qui d’un instant à l’autre peut n’être plus la sienne.

Le mutselim a ordonné à trois de ses gardes de m’accompagner partout dans la ville ; pour mieux m’honorer et pour répondre aux intentions du gouverneur, ils ont déployé autour de moi une police sévère qui m’a d’abord effrayé ; mes trois soldats frappaient du bâton les pauvres fellahs qui par curiosité voulaient me suivre, ou qui s’arrêtaient pour me voir passer ; leur bâton ne s’est reposé qu’après avoir fait autour de moi une solitude. J’ai observé que le soldat arabe méprise souverainement le fellah, et ne voit en lui, littéralement parlant, qu’un chameau bipède.

Gaza, une des dépendances du pachalik d’Acre, n’offre aucune