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au peintre plus de services que ce dernier ne pouvait lui en rendre. Aussi, ne doit-on attribuer cette liaison qu’à l’une des plus remarquables spécialités de son caractère. Lui qui ne respectait rien, il respectait les arts. Devant le grand talent de l’artiste supérieur, sa langue médisante était muette, son habitude adulatrice cessait, son éloge était sincère, son émotion vraie. Comme il représentait l’Italie en beaucoup de choses mauvaises, il fallait bien qu’il la représentât sous son point de vue le plus brillant.


L’art dominait en Italie. Il était maître ; il était tyran ; il avait tout envahi. Lui seul était la moralité, la loi, le bonheur, la religion, l’amour, la philosophie. Lui seul faisait les grandes choses et les grandes actions. À lui le dévouement, les sacrifices, l’abnégation de soi, la hauteur d’ame, la profondeur et la vérité du sentiment. Vers 1530, en Italie, les philosophes ne sont que des rhéteurs ; les cardinaux, des seigneurs impudiques ; les princes, des surintendans de plaisirs ; l’art d’agencer les paroles et de tresser des guirlandes de madrigaux passe pour éloquence et poésie : peu d’écrivains sont énergiques, clairs, précis, observateurs. Chez les artistes, ces grandes qualités se retrouvent. Ils sont forcés, eux, d’étudier la nature, de lutter avec elle et de conserver la naïveté de l’instinct. Lisez Benvenuto Cellini ; vous verrez à nu l’ame de l’artiste ; fanatique sans le savoir, sacrifiant tout à son unique pensée, épris de la beauté, ardent à la reproduire, sentant sa force, se croyant Dieu, comprenant la nature et s’associant à elle ; marchant de pair avec les rois, et ne connaissant d’égaux que ses frères artistes ; de patrie, que l’église, le palais, l’atelier peuplés de ses œuvres, et le monde, son modèle.

En Italie, l’équilibre des facultés humaines se trouvait rompu. La prépondérance de l’art avait écrasé jusqu’au sentiment du juste et de l’injuste. On eût pardonné à Michel-Ange tout, même le parricide. Les princes n’avaient de vénération réelle que pour le sculpteur, le graveur et le peintre. La foi chrétienne, cette foi sévère, née dans les catacombes, nourrie des argumens de l’école, propagée par le sang des martyrs, se transforme, devient artiste à son tour, oppose à Luther le Vatican et la splendeur des rites. Ce pontife est-il un homme infâme ? Peu importe. Il est pape. Il est fils de