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belles armes très inutiles, des chevaux de prix, sa part du pillage, mais une place dans son lit[1], ce qui était, dans les mœurs du temps, le dernier degré de l’intimité. Aux revues et aux parades, aux festins et dans les marches guerrières, partout excepté au combat, l’Arétin se tenait près du Grand-Diable, qui le réconcilia même avec le pape, son parent. Il ne songeait plus guère à la poésie : il n’avait plus à flatter l’oreille difficile de ces cardinaux délicats, qui savaient par cœur Virgile, Pétrarque et Boccace.

À Milan, l’armée de François Ier rejoint celle de Jean, et notre Arétin n’a pas moins de succès auprès du roi de France qu’auprès du capitaine des bandes noires. Il a le don précieux d’amuser les grands.

Pourquoi prêterions-nous à ce pauvre garçon des couleurs plus noires que celles que Dieu lui avait données ? C’était un joyeux et amusant personnage. La gaudriole de ce temps-là, brutale et de haut goût, dans le genre de Rabelais et de Brantôme, lui échappait naïve, facile, riante, salée. Soudards et gentilshommes, tout ce qui n’avait pas cette exquise élégance des cardinaux de Léon x, devait le trouver charmant et adorable. Il y avait, en lui, du Figaro et du Panurge ; qui diable lui aurait su mauvais gré de sa mendiante audace, de son peu de principes et de son impudeur ? Ces mœurs molles, intrigantes, bouffonnes, vénales, allantes et venantes, sensuelles et plaisantes, ces mœurs de bon enfant qui ont partout du succès, étaient alors en plein triomphe. L’Arétin, d’ailleurs, était complet en ceci, qu’il avait les qualités de ses vices. Chose rare qu’un homme complet. Menteur, pipeur, hâbleur, lâche, gourmand ; qu’importe ? Pietro ne se vantait pas de moralité, et faisait rire le prince qui lui donnait. Il ne disait point de mal de l’église qui l’avait nourri. Il était bon catholique, à la mode du temps. Ardent et dépensier, buveur et débauché, poltron et avide ; il aimait de grand cœur l’amphitryon qui le faisait dîner ; il n’était pas incapable d’une sorte de dévouement, d’une activité de démarches, qu’il plaçait ensuite à gros intérêt et qu’il faisait très bien valoir.

Son esprit, sa fougue naturelle, qui ne le préservait d’aucun vice, le rendait obligeant et zélé pour ses maîtresses, ses patrons

  1. Lettere, tome iii, page 172 … Seco in un letto… ogni ora, etc.