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aux obscénités de Pasquin. Le métier de parasite n’a pas besoin d’une longue étude. Pietro fait ses premières armes et réussit. Bientôt il revêt un beau costume, attend Léon x au passage, le flatte de ses vers, le flatte de son regard, et reçoit quelque monnaie[1] (danari). Il voit que ce commerce est bon et il continue. Le cousin de Léon, Jules de Médicis, qui sera pape, sous le nom de Clément vii, jouit déjà d’un grand crédit. Il le flatte encore ; Jules lui donne de l’argent et un cheval. Le voilà lancé. Sans mérite réel, sans avoir rien fait, si ce n’est de ramper devant ses maîtres, et de se confondre dans l’armée oisive qui suit la cour, il relève la tête, boit comme un seigneur, devient bon compagnon et gai convive, a des maîtresses, mène joyeuse vie, et commence à comprendre à quoi se réduit la science du succès ici-bas. Sa fortune cependant ne court point d’un pas aussi rapide qu’il le voudrait bien. Les deux Médicis, gens de goût, paient volontiers de quelques cadeaux l’encens grossier de leurs gens : ils réservent leur faveur la plus haute aux talens qu’ils aiment et qu’ils protègent. Cela ne peut durer : Pietro s’ennuie et, cherchant des maîtres plus faciles, il tente un voyage à Milan, à Bologne, à Pise ; armé de sonnets pour toutes les puissances, bien vêtu, le nez au vent, muni de lettres de recommandation, se disant le protégé du pape, et se présentant avec cette audace qui va si bien aux quêteurs de cadeaux. Il faut l’entendre raconter cette première tournée, la première picorée de son génie.

« À Bologne, dit-il, on a commencé à me donner. L’archevêque de Pise m’a fait faire une casaque de velours noir relevée d’or, magnifique au possible. Me voilà ensuite qui fais mon entrée à Mantoue, comme un vrai prince, accompagné d’Ammazzino. On nous jette par la tête du Messer et du Signore, tant que nous en voulons. — (Notre garçon relieur est tout étonné de s’entendre appeler Monsieur !) — Le marquis, pour qui j’ai fait des vers, m’a pris en telle affection qu’il ne peut plus se passer de me voir. Il quitte sa table et son lit pour venir causer avec moi. Il n’a pas, dit-il, de plaisir aussi complet que celui-là ! Ma chambre est celle même qu’est venu occuper François Marie duc d’Urbin, lorsqu’il fut

  1. V. Lettere, t. 3. f. 101.