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STATISTIQUE PARLEMENTAIRE.

mots ; il n’en existe point dans la chambre des pairs, où elle est réduite à un nombre de boules si minime, qu’elle disparaît dans un scrutin : science d’affaires, fatigue politique, dégoût du présent, crainte de l’avenir, regrets du passé, nécessité de consolider le pouvoir, voilà quels sont les caractères de la chambre des pairs qui semblent s’être personnifiés dans son président et son grand-référendaire[1]. Certes, personne ne contestera la capacité de M. Pasquier, cette manière prompte et vive de saisir les questions, de diriger les débats, cette puissance qui s’empare d’une assemblée, lui arrache une décision alors même qu’elle n’est point encore arrêtée, et pousse ainsi un corps politique qui ne veut pas marcher. Quant à M. de Sémonville, la plus spirituelle des personnifications de cette chambre, débris de tous les régimes et de tous les systèmes ; ambassadeur de la république, sénateur, grand-référendaire dans le procès du maréchal Ney, sous le système libéral de M. Decazes, sous M. de Villèle, sous la congrégation, sous Charle x, sous la révolution, il a échappé à tout avec un bonheur qui tient moins à la fortune qu’à l’ingénieuse souplesse de son esprit. Qui n’a assisté aux petits déjeuners de M. de Sémonville, au milieu de ses employés du Luxembourg ? Il aime à conter ses aventures de toutes les époques, ses vicissitudes et ses fortunes de tous les régimes ; vieux républicain au fond du cœur, il est encore le citoyen Sémonville, ambassadeur de la république, et on le croirait au cynisme de ses expressions, si une phrase suave et de bon goût n’accompagnait ses boutades les plus irrégulières. C’est l’homme qui sait le mieux sa chambre, ses combinaisons de majorité et de minorité. Le ministre avec lequel il a eu le plus de rapports, c’est M. de Villèle ; chaque fois que le cabinet d’alors présentait un projet de loi, M. de Sémonville allait le trouver, lui donnait une statistique des boules pour et des boules contre, et jamais il ne s’est trompé de deux voix. En 1826, lorsque M. de Villèle voulut sacrifier M. de Corbière, indolent et paresseux, s’abîmant sous les Elzevir ou dans les causeries de Charles Nodier, il eut un moment l’intention de nommer son collègue grand-référendaire de la chambre des pairs. C’était un choix absurde, car s’il y avait quelqu’un d’antipathique à l’esprit, aux formes et aux manières de la chambre des pairs, c’était bien M. de Corbière. M. de Sémonville eut vent de cette résolution. Il accourt sur-le-champ chez le président du conseil d’alors, qui l’accueille avec empressement et lui serre la main avec effusion : « Vous pensez trop à moi, M. de Villèle, lui dit M. de Sémonville en riant, et je sais que vous voulez me remplacer par M. de Corbière. — Vous, mon

  1. Il n’est ici question que de l’ancien grand-référendaire.