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découvert pour conquérir leur émancipation, et faute d’avoir encore la plénitude de leurs droits, elles n’ont pas peut-être la pudeur de leur liberté. Ici les femmes ont l’impudeur de l’esclavage ; rien n’égale l’audace de leurs yeux ; elles regardent comme si elles n’étaient pas vues. Du reste, elles témoignent quelque lassitude de leur situation ; l’adultère et la prostitution se sont glissées parmi elles ; quant au divorce, elles sont ardentes à le réclamer, et leur réclamation est admise chaque fois qu’elle est conforme aux lois. Que les femmes turques souffrent, aspirent vaguement à un autre sort, voilà ce qu’on ne peut nier, quand on les voit porter sur leur visage la trace de leurs désirs mal satisfaits. Si de profonds observateurs attribuent uniquement leur état de pâleur et de souffrance à l’abus des bains, pour nous, nous croyons qu’il tient à une crise révolutionnaire.

Nous n’avons point encore parlé des époux. Et d’abord de l’épouse que pourrions-nous dire ? Son nom, c’est la sultane Salichè. Voilà tout. Sans doute pendant la durée de ces fêtes, entourée dans le harem impérial des harems des pachas et des ministres, elle nage dans une mer de félicitations et de vœux, et respire dans une atmosphère d’encens et de parfums : sans doute elle étale, devant les yeux éblouis, le luxe de la nouvelle épouse, et elle consacre plus d’un moment à essayer les toilettes que l’on dit être venues pour elle des célèbres magasins de modes de Paris, en souriant peut-être, au milieu de ces dames, de l’art ingénieux de la civilisation européenne. Pour nous, à tant de souhaits pour son bonheur nous ajoutons les nôtres : car nous croyons que sa noce, célébrée avec tant d’éclat et de pompe, aura contribué à rehausser la dignité de tout son sexe. Quant à l’époux, qui dans un tel mariage, ne joue que le second rôle, c’est Halil-Pacha. On le dit familiarisé avec les langues et les usages de l’Europe, et d’un caractère bon et aimable. Le rang auquel il s’est élevé, de la condition d’esclave, lui ferait supposer un mérite au-dessus de la médiocrité, si l’on ne savait qu’il doit sa fortune à la faveur du séraskier-pacha, dont il est le fils d’ame. Une telle adoption, commune en Turquie, a quelquefois des causes honorables ; celle-ci a une origine moins pure. Il est de notoriété publique que Halil-Pacha, dans sa première jeunesse, a fait partie du harem mâle du séraskier-pacha.