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lipes, d’oranger ; des fêtes, des chants, des baisers et du sang. Là le poison tua sans bruit, le poignard et le cimeterre firent œuvre plus hardie, le canal s’ouvrit sous un poids palpitant encore, et la Porte étala le trophée sauvage de têtes décollées. Là les sultans, tour à tour appuyés, attaqués par les ulémas et les janissaires unis et divisés, siégèrent sur un trône glissant qu’environnaient le despotisme et l’anarchie. De là partit la foudre qui dévora les janissaires et donna le signal de la réforme. Là enfin a grandi et décliné la fortune de l’empire…

Près de ce groupe de palais et de verdure, de quelque côté que vous veniez par mer à la ville, toujours vous découvrez un autre groupe noble et majestueux ; deux coupoles et dix minarets, qui, selon le point de vue, s’éclipsent réciproquement, changent de place, ou même entrent parmi les arbres du sérail. C’est Sainte-Sophie, qui, de loin, a un grandiose et une légèreté que, de près, les contreforts massifs de l’édifice dissimulent. Sainte-Sophie est si admirablement située, qu’elle apparaît tout d’abord comme un temple métropolitain ; à côté, c’est la mosquée d’Achmet : la première, accompagnée de quatre minarets à une seule galerie, et courbant gracieusement sa coupole en ellipse ; la seconde, arrondissant plus fièrement son dôme en demi-sphère, l’escortant ambitieusement de six longs minarets à deux et à trois galeries, et semblant avoir fait effort pour donner au monument mahométan la victoire sur le monument chrétien ; du reste heureusement postée sur la place de l’antique hippodrome, où, devant elle, s’abaissent des débris de colonnes et l’obélisque égyptien.

Cependant Sainte-Sophie est le type de toutes les mosquées de Stamboul. L’islamisme rencontre dans la forme architecturale inventée par le christianisme grec une expression assez vraie de sa propre foi pour l’adopter, sauf à greffer sur l’art byzantin une portion de l’art arabe. Le génie des Osmanlis s’est toujours enrichi de conquêtes ; leur langue a dépouillé les Arabes et les Persans, et leurs constructions ont pris aux Græco-Romains. Examinons ensemble leur mosquée : premièrement le corps de la mosquée est un carré long, et sur ce corps un vaste dôme surmonté du croissant ; au-dessous de la base de cette tête, et pour ainsi dire jusque sur les épaules, reposent par étages des demi-