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UNE NOCE À CONSTANTINOPLE.

Mais laissons un moment ces réjouissances, dont chaque jour est une répétition de la veille. Il ne faudrait pas moins, pour y tenir bon quinze jours de suite, que l’impassibilité du Turc ; et pour remédier à la chaleur et à la poussière, il faudrait sans cesse recourir aux marchands ambulans de cerises, d’eau fraîche, de lait caillé, de sorbets, de glaces. — D’ailleurs ces fêtes ne sont pas de celles où l’on prend un bain continuel d’émotions ; il n’en arrive à vos fibres tendues que des gouttes intermittentes, rares, plutôt propres à les agacer qu’à les rafraîchir. En pourrait-il être autrement ? Ces populations sont sans lien ; maîtres et rayas, vrais croyans et infidèles, quelle impression commune pourrait ébranler harmonieusement leur masse sans homogénéité ? La tolérance mutuelle, à laquelle les a façonnés une longue habitude, n’a point fait de tous ces anneaux une chaîne vivante ; il n’y a point là de courant électrique… Qu’y ferions-nous, à moins de nous amuser aux balançoires, aux bascules et autres jeux de gymnastique grossière, ou bien aux bateleurs avec leurs singes, leurs ours, leurs lanternes magiques, qui se trouvent là tout comme aux Champs-Élysées ou sur un boulevard de Paris ? Allons à Constantinople ; à présent elle est délaissée ; nous, allons la saluer.

La solennité actuelle n’est-elle pas comme une célébration du trois cent quatre-vingt-unième anniversaire de son occupation par les Ottomans ? Ce fut le 29 mai de l’an 1453 que le conquérant, sa hache d’armes à la main, fit bondir son cheval, de la brèche fumante des remparts à Sainte-Sophie, et y rendit grâces à Allah. Mahomet ii est un adroit politique, un soldat intrépide, un habile capitaine, prince rusé, généreux, féroce, magnanime, bref un grand homme des temps passés. À lui Constantinople ! proie superbe, que du fond de ses déserts, l’islamisme, naissant à peine, avait convoitée, et vers laquelle il se précipita à plusieurs reprises, long-temps en vain ! La fougue arabe échoua, la patience turque triompha. D’ailleurs, victime de déchiremens intérieurs et du choc de la chrétienté latine, la métropole du christianisme grec, la capitale de l’empire d’Orient, déchue de son haut rang religieux et vêtue seulement des lambeaux de la pourpre impériale, n’avait plus, après cette double dégradation, qu’à subir son arrêt ; — et voilà comment la noce d’une princesse dont les