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UNE NOCE À CONSTANTINOPLE.

lonnes d’Hercule, cette mer s’unissait à l’Océan ? Grande crise du continent européen, s’arrachant de l’Asie et de l’Afrique avec effort, comme l’enfant, couché sur le sein maternel, de la tête et des pieds frappe les deux mamelles qu’il a sucées, lorsque enfin il se sent libre et fort ! À quoi tint l’indépendance de l’Europe, en germe dans la Grèce ? N’est-ce pas à ce long fossé qui se prolonge au midi, là Salamine, ici le Bosphore ? À présent, grace à tous nos progrès, ce qui fut barrière rapproche ; l’obstacle se fait lien. Et vraiment c’est une joie, voguant dans ce canal, de se sentir vivre sur le point même où se touchent enfin deux mondes avec leurs destins divers si long-temps ennemis ; pouvoir d’un seul regard embrasser l’Asie et l’Europe est un plaisir qui émeut délicieusement.

Il y a plus d’un siècle, dit-on, qu’un sultan n’a marié une fille, et Mahmoud célèbre cet évènement. Jamais courban-bayram n’aura été plus pompeusement fêté. Le souverain veut associer son peuple aux joies de sa famille ; mais le peuple n’est point en reste de générosité, car on assure qu’à l’occasion de cette noce, Sa Hautesse a reçu en présens une valeur de vingt millions de piastres, selon l’usage antique que la réforme a respecté.

Le théâtre de la fête est Dolmabaktzé. Sur le bord même du canal, en face de la flotte, entre un nouveau palais du sultan et le bourg qui fait suite à Topana, s’étend une esplanade : derrière l’esplanade est une étroite vallée, occupée en partie par une caserne qui regarde le lieu de la scène ; sur les deux côteaux qui resserrent la vallée, à leur sommet et à leurs flancs, sont plantées des tentes, ici pour les pachas et leur suite, là, près de la caserne et du champ des morts de Péra, pour les troupes. À peu de distance de ces dernières, dans les cimetières arménien et catholique, il en est d’autres qui servent de boutiques, de cuisines, de cafés ; sur les plateaux des hauteurs voisines sont campés des régimens d’infanterie et de cavalerie. C’est vers ce centre que, du matin au soir, abondent, de toutes parts et partout, les spectateurs, dont les caïques, rangés le long du canal, augmentent le nombre. Et quelles merveilles attirent leurs empressemens ? le voulez-vous savoir ? Le jour, ce sont les tours de force d’un alcide italien sur de misérables tréteaux, ou bien des exercices de