Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
145
LE PRINCE.

comparable. En voici un que je t’offre pour exemple, et qu’il faudra commenter dans le rôle que nous jouerons, si tu veux, au carnaval prochain entre deux paravens, avec une toilette convenable, un maintien grave, des bâtons dans nos manches et des planches dans le dos, pour empêcher tout mouvement inconsidéré du corps ou des bras ; nous aurons des masques de plâtre, et la scène commencera par ces mémorables paroles historiques : — Méfions-nous de notre premier mouvement, et n’y cédons jamais sans examen, car il est presque toujours bon.

— Qui croirait que la scélératesse érigée en doctrine de bonne compagnie, chose neuve par elle-même, et d’un effet piquant, eût aussi son pédantisme et ses lieux communs ? Mais écoute ce cri rauque ; lequel des deux philosophes patibulaires vient donc de rendre l’esprit ? Je me trompe, c’est le cri de la chouette qui part des grands bois. Bien ! chante plus fort, oiseau de malheur, crieuse de funérailles !… Ah ! monseigneur, voilà une voix que vous ne sauriez faire rentrer dans la gorge de l’insolent. Entendez-vous ce refrain brutal des cimetières, qui ne respecte rien, et qui ose dire à un homme comme vous que tous les hommes meurent, sans y ajouter le presque du prédicateur de la cour ?

— Ton indignation est acerbe, lui dis-je, et ta colère est cruelle. Si cet homme pouvait nous entendre, voici comment je lui parlerais : — Que Dieu prolonge tes jours, ô vieillard infortuné ! météore prêt à rentrer dans la nuit éternelle ! lumière que le destin promena sur le monde, non pour conduire les hommes vers le bien, mais pour les égarer dans le labyrinthe sans fin de l’intrigue et de l’ambition. Dans ses desseins impénétrables, le ciel t’avait refusé ce rayon mystérieux que les hommes appellent une ame, reflet pâle, mais pur, de la Divinité, éclair qui luit parfois devant nos yeux et nous laisse entrevoir l’immortelle espérance, chaleur douce et suave qui ranime de temps en temps nos esprits abattus, amour vague et sublime, émotion sainte qui nous fait désirer le bien avec des larmes délicieuses, religieuse terreur qui nous fait haïr le mal avec des palpitations énergiques. Être sans nom, tu fus pourvu d’un cerveau immense, de sens avides et délicats ; l’absence de ce quelque chose d’inconnu et de divin, qui nous fait hommes, te fit plus grand que le premier d’entre nous, plus petit que le