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pieds. N’abandonne pas encore ce monde-là, ô Dieu bon ! car il en sort parfois un rayon qui peut rallumer le soleil dans son atmosphère obscurcie ; de faibles cris, des sons épars, des plaintes, des aspirations, percent de temps en temps la nuée sombre qui l’enveloppe, et ces voix lointaines qui montent jusqu’ici attestent que la vertu n’est pas étouffée encore dans le cœur des hommes infortunés. — Ainsi parlent les anges, et sois sûr, ô mon ami, qu’aucune de nos bonnes intentions n’est perdue. Dieu les voit, il entend la prière la plus humble, et, à cette heure où nous parlons, ces étoiles qui nous regardent et nous écoutent lui répètent les paroles de ta souffrance et lui racontent les vertueuses angoisses de ton ame.

— Ô mon ami ! s’écria-t-il en se jetant dans mes bras, pourquoi n’es-tu pas tous les jours ainsi ? Pourquoi tant de jours d’apathie ou d’aigreur ? Pourquoi tant d’heures d’ironie ou de dédain ?

— Parce que je suis un homme d’une pauvre santé et d’une pauvre tête, lui dis-je, sujet à la migraine et aux spasmes. Dieu me pardonne bien d’être injuste et ingrat à ces heures-là. Les reproches que j’adresse au ciel et la haine que je ressens pour les hommes retombent sur mon cœur comme un flot de bile corrosive, la pureté des étoiles n’en est pas ternie, et la Providence ne s’en émeut pas. La fatigue opère en moi le retour de la résignation, et il arrive une ou deux fois par mois peut-être, qu’entre la colère et l’imbécillité je me sens dans une disposition bonne et calme, où je peux accepter et prier.

— Eh bien ! quand ton âme arrive à ces heures de calme et de soulagement, s’écria mon ami, cours t’enfermer dans ton grenier, prends une plume, écris ! Écris avec les larmes de tes yeux, avec le sang de ton cœur, et tais-toi le reste du temps. Quand tu souffres, viens avec nous, ne va pas te promener seul là-bas, le long des grottes humides, au clair de la lune ; n’allume pas ta lampe à minuit, et ne reste pas les coudes appuyés sur ta table et le visage caché dans tes mains jusqu’au jour naissant. Ne nous dis plus qu’il y a des époques dans l’histoire où l’homme de bien doit se lier les pieds et les mains pour ne point agir. Ne nous dis pas que Siméon Stylite était un saint, et conviens que c’était un fou. Ne nous dis pas que la vertu est comme la chasteté des ves-