Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
JACQUES.

voir la douleur ; la jactance, qui court au-devant du danger, étonnerait sa candeur sans éveiller son envie.

Elle acceptera l’amour comme un bienfait ; mais comme elle n’a rien dans ses souvenirs que l’ignorance et la sérénité, elle ne choisira pas, elle se donnera ingénuement, elle ouvrira son cœur parce qu’elle a besoin de se confier. Elle révélera sans confusion et sans crainte tous les secrets de sa pensée. Elle se sent faible et née pour l’obéissance ; le jour où elle rencontrera une ame plus forte que la sienne, un caractère plus aguerri, une intelligence plus large et plus sûre d’elle-même, elle s’inclinera comme devant un maître attendu dès long-temps ; elle remettra entre ses mains le fardeau de sa destinée, et dans sa joie naïve elle n’ira pas jusqu’à prévoir l’heure de la révolte et de la désertion.

Elle ne sait pas que l’amour sans discernement est une imprudence désastreuse ; qu’il faut choisir avant de s’engager, mesurer sa force avant de commencer le pélerinage. Pauvre chère enfant, elle aimera de toute son âme ; elle se livrera tout entière et prononcera les plus terribles promesses, comme s’il s’agissait seulement du soir et du lendemain.

Elle croit qu’un seul amour épuisera toute la sève de son ame, et qu’un pareil bonheur ne se recommence pas. Elle n’a pas deviné, dans les rides inscrites au front des femmes de trente ans, la mobilité des affections qui se disaient éternelles. Elle n’a pas lu, dans les regards sombres et mornes qui semblent épeler incessamment une invisible sentence, la confusion des souvenirs et des promesses qui se heurtent, et se disputent la conscience comme une proie sans cesse renaissante.

Changer, pour Fernande, c’est un mot qui n’a pas de sens. La fidélité n’a pas même pour elle le caractère d’un devoir ; c’est une loi fatale, irrésistible ; c’est un besoin du cœur. Elle concevrait le dévouement dans la mobilité, elle ne le conçoit pas dans la constance.

Il semble à cette ame ingénue que l’amour une fois essayé ne permet pas une nouvelle épreuve ; que toutes les facultés, appauvries par l’effusion et l’intimité, sont mises hors de combat, et que la paix est un devoir pour cette armure brisée.

Elle n’a jamais rêvé ces passions boiteuses qui se partagent entre