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SOUVENIRS DE LA NORMANDIE.

À Cherbourg, nous nous embarquâmes. Quelques heures après nous étions à Guernesey. Henri fit aussitôt appeler la vieille servante indienne, qui faillit tomber à la renverse en apprenant son arrivée subite. La pauvre femme fut si frappée de la pâleur et de l’abattement de ses traits, qu’elle n’osa lui demander la cause d’un si prompt retour. Elle lui apprit que Thécla était malade, et qu’on l’avait saignée ce jour même. Henri ne savait plus à quoi se résoudre. Il était venu pour conter naïvement à Thécla toutes ses douleurs, et la faire juge elle-même dans sa propre cause ; mais il ne s’attendait pas à la trouver malade et souffrante, et il voulait repartir sans l’avoir vue. Il était trop tard. Thécla savait déjà l’arrivée de Henri. Ne concevant rien à ce retour, elle prévoyait les évènemens les plus sinistres, et la vieille servante venait supplier Henri de se rendre près d’elle, tandis que la famille était à la promenade dans une autre partie de l’île. Comme Henri hésitait, un second messager arriva, avec un billet de Thécla, qui lui annonçait qu’elle allait s’arracher de son lit et venir à lui, à tout risque, s’il ne se hâtait d’accourir.

Henri partit éperdu, pâle, la tête baissée, la voix tremblante, comme un coupable qu’on traîne sur la sellette. Il trouva Thécla déjà hors de son lit, couverte d’un long peignoir blanc qu’elle s’était hâtée de prendre, ses beaux cheveux bruns en désordre sur son front. Henri pouvait à peine se soutenir en entrant dans cette chambre.

— Mon Dieu ! lui dit-elle, que vous ai-je donc fait, Henri ? Êtes-vous donc venu ici pour me tuer, vous qui êtes si bon !

— Hélas ! lui répondit Henri, n’osant pas la regarder, hélas ! ne le savez-vous pas ce que vous m’avez fait, Thécla ?

— Je ne sais rien, dit-elle, rien, sinon que je vous aime, et que je n’ai pas cessé un moment de songer à vous.

Henri leva enfin les yeux vers elle. Les regards de Thécla étaient douloureux, mais calmes. Il fallait cependant bien s’expliquer.

— Thécla, lui dit-il, pardonnez. Je vais sans doute vous faire une mortelle injure, perdre un cœur qui m’était peut-être dévoué ; mais mon excuse est dans ma peine. Depuis huit jours, je n’existe pas, je suis rayé de la liste des vivans ; et Dieu m’est témoin que, dans mon malheur, je ne vous ai pas accusée sincèrement, que je ne vous