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geste, il se fit un grand mouvement de chaises qui le força à se lever de la sienne. À peine si Thécla lui avait dit deux paroles. En ce moment, elle s’avança vers lui, et le remercia de sa visite en quelques mots très froids. Mary, la jeune cousine, qui était si bien au fait de ses promenades, ajouta que sans doute il comptait bientôt quitter cette pauvre petite île. — Dans une heure, répondit Henri, pâle et plein de rage. Une révérence générale s’ensuivit ; Thécla et la cousine lui souhaitèrent un bon voyage, et Henri se trouva dans la rue sans savoir comment il y était tombé, si c’était par la porte ou par la fenêtre de cette maudite maison.

Décidément, Henri était joué. Il avait eu à affaire à une coquette. Il fallait partir à tout prix avant que le ridicule l’atteignît ; mais il avait beau faire, il se sentait atteint, à ses propres yeux, d’un ridicule ineffaçable. Lui, si défiant, croire à l’amour d’une femme ! sur un regard bienveillant et une simple poignée de main, se hasarder au milieu d’une famille inconnue et venir jouer le rôle d’homme à bonnes fortunes dans un pays étranger ! édifier tout un avenir sur des gages aussi frêles ! voilà ce qu’il ne pouvait concevoir lui-même. Henri n’avait jamais eu la prétention de passer pour un don Juan ; il avait déclamé toute sa vie contre les hommes d’une certaine façon et d’une certaine portée, qui font métier de succomber toujours sous une grande passion ; et lui, en peu de jours, il avait donné dans tous les travers dont il s’était moqué. Plus il s’examinait, plus il voyait qu’il n’y manquait rien : fatuité, folie, audace, et la déception qu’il venait d’essuyer, dénouement bien digne d’une si noble entreprise. Il eût voulu se trouver à cent lieues de cette île.

Les douaniers le suivaient des yeux avec défiance, car depuis une heure, il courait le long du fort et de la jetée, s’informant si quelqu’un pourrait lui indiquer le patron d’une barque qui voulût mettre aussitôt à la voile. Mais aucune embarcation régulière n’était prête à prendre la mer. Enfin il trouva un pauvre pêcheur qui se disposait à partir le soir, pour aller draguer en contrebande, sur les huîtrières de la côte de France. Henri le décida à avancer son départ de quelques heures. Il lui tardait tant de ne plus toucher cette terre, qu’il se plaça dans la barque en attendant son bagage qu’il avait envoyé chercher. Le ciel noircissait bien un peu