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« Je suis fou d’être ému comme cela, disait-il encore tout tremblant, et ne perdant pas des yeux le précieux navire qui s’éloignait par une bonne brise. Ce n’est qu’une poignée de main, après tout, et ces Anglaises en donnent au premier venu. Au reste, je ferai bien de ne pas la revoir ; car si je n’entends plus parler de cette femme-là, je l’aimerai toute ma vie, et je resterai sur une impression délicieuse. »
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Bien peu de temps après, un jeune homme se présenta devant une maison de la ville de Port-Saint-Pierre, dans l’île de Guernesey, à l’extrémité du quartier qu’on nomme le Tranquille, ou le Tranquoel, dans le patois normand du pays, et souleva le marteau de la porte qu’il laissa retomber après un moment d’indécision qui dura quelques secondes. Une vieille servante au teint cuivré vint ouvrir.

O God bless you, M. Henri, dit-elle, que venez-vous faire ici ? Ma maîtresse sera bien étonnée de vous voir dans l’île.

— Ne puis-je la voir, Baby ?… Je reste peu de temps à Guernesey…, et je ne voudrais pas partir sans…

La porte d’une chambre au rez-de-chaussée s’ouvrit, et une voix lente et mesurée adressa quelques brèves questions, en anglais, à Baby. La servante haussa les épaules, et dit tout bas à l’étranger : Ma maîtresse est ici, mais les vieux veulent savoir qui la demande. Entrez.

Elle le quitta un moment, et le laissa dans un petit vestibule élégamment paré de dalles de schiste qu’on trouve dans l’île, dont quelques parties ressemblent à la calcédoine et à l’agate, et qui est agréablement entremêlé de veines de quartz et de porphyre noir. À travers une grande porte fermée d’un vitrail aussi antique que la maison, qui, d’après sa structure et ses ornemens, datait du temps de Henri viii, on voyait un petit jardin terminé par un cottage tout couvert de saxifrages et à demi caché, ainsi que presque toutes les habitations de Guernesey, derrière des touffes de géraniums, de lauriers blancs et de triphyllia, dont les branches gigantesques se tordaient autour des croisées devant lesquelles pendaient, en forme de stores, leurs larges feuilles. La longue chaîne des rochers, qu’on