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serein et paisible le sang qui ruisselait de ses blessures. Il a senti l’air frais et cuisant se glisser dans les profondeurs de ses plaies furieuses. Mais il s’est confié en lui-même, il n’a pas fléchi avant l’heure, et quand la cicatrice, lente à se fermer, a mis un terme à la souffrance, il ne s’est pas tourné vers ses souvenirs pour se conseiller la lâcheté.

C’est-à-dire qu’il a compris dès le premier jour que le devoir est d’agir et de vivre ; pour lui, la sagesse suprême, la plus haute dignité, la consécration, c’est le dévouement poussé à ses dernières limites.

Il a aimé plusieurs fois, et plusieurs fois il a été trompé. Il a vu se détacher de lui bien des affections qu’il réservait à de plus longues espérances. Il a vu tomber avant le temps bien des plantes florissantes qu’il avait arrosées de ses larmes, et qui promettaient de grandir à l’ombre de son nom.

Si Jacques était arrivé par la déception à cette tristesse incrédule et défiante qui raille les passions et les prend en pitié ; s’il n’avait puisé dans la mémoire toujours présente de ses malheurs et de ses désappointemens que le mépris et l’ironie ; si, résolu à l’inaction, il s’était mis à rire de ceux qui croient et persévèrent, il n’y aurait dans l’invention de ce personnage rien d’inattendu ni de nouveau. Ce serait tout simplement un ressouvenir de Byron. Mais Jacques est monté plus haut que la tristesse, plus haut que l’incrédulité. Il a dépassé la défiance et l’ironie. Il compatit sérieusement à ceux qui persévèrent et se confient ; mais il ne raille pas leur espérance. Il voit plus loin, mais ses pieds suivent la même route.

Il ne croit plus à l’éternelle durée des affections humaines ; mais il rougirait de lui-même s’il abandonnait la partie. Il a promené autour de lui un regard lent et curieux ; il a compté les ambitions tumultueuses qui s’agitaient au sein de la foule et tentaient de la dominer ; il a suivi sans trouble et sans jalousie l’avènement et la chûte des noms qui se disaient illustres ; et il n’a pas voulu d’une pareille destinée. Il s’est mêlé aux esprits ardens qui ne vivent que pour la vérité ; il s’est complu quelque temps dans le spectacle de leurs pieuses extases, il n’a pu se défendre d’une sympathie généreuse pour leurs projets d’enseignement et