petits bourgeois désertent leur demeure habituelle, et vont se réfugier dans un coin de maison, au grenier, pour céder la place aux étrangers qui arrivent, et paient comptant. Les riches négocians au contraire décorent leurs salons, remettent à neuf la livrée de leurs domestiques, remplissent le buffet de leur salle à manger. Les petits marchands font repeindre le devant de leur boutique et rafraîchir leur enseigne. La carte du restaurateur s’enfle de tous les mets qui peuvent flatter l’appétit d’un homme du nord et d’un homme du midi, et les paysans, qui doivent aussi faire leur foire, triplent le prix de leurs denrées. De toutes parts le bruit, le mouvement, la vie. Le commerce, que M. Ch. Fourier appelle le sang des nations, circule dans toutes les veines de cette grande population, anime tous ses membres, donne à tous ceux qui la composent une nouvelle force et une nouvelle activité. Les boutiques étrangères se dressent sur deux lignes parallèles dans les rues ; la grande place, inondée de tentes, ressemble à un port où toutes les voiles se pressent l’une contre l’autre. Là, le Français court avec sa badine en main ; l’Allemand poursuit avec flegme ce qu’il a entrepris ; le juif polonais se promène gravement avec sa longue barbe noire et sa soutane en soie nouée par une large ceinture ; l’Anglais arrive avec les basques étroites de son habit ; le Grec, avec sa longue pipe au tuyau d’ambre et son beau turban ; l’Arménien, avec ses bottes brodées et sa pelisse couverte de riches fourrures. Puis, la foire s’ouvre ; puis le tumulte et la fête commencent, et, comme en Allemagne il ne peut y avoir de fête sans musique, voici la musique qui résonne dès le matin, traverse toutes les rues, entre dans les cafés, se pose au bout des tables d’hôte. Ici la pauvre petite chanteuse, avec sa romance de guerre ou d’amour, sa harpe mal sonnante et sa robe crottée ; là les chanteurs tyroliens avec leur veste étroite, leur gilet rouge, leur chapeau couronné de fleurs, et de toutes parts des groupes de trois ou quatre musiciens qui se partagent les opéras de l’année dernière ; Rossini, Meyerbeer, Boyeldieu, Aubert, Bellini, musique allemande, italienne ou française, peu leur importe.
Dans un des faubourgs de la ville, sur le Rossmarkt, se passe un autre spectacle non moins étrange : c’est là que le peuple a son refuge ; c’est là que les boutiques à quelques sous, les ménageries, les tavernes, les chiens savans vont établir leur siège. Ce sont là les Champs-Élysées de Leipzig. Les soldats et les ouvriers, les paysannes et les nourrices y apportent leurs économies de six mois. On y entend du matin au soir une musique à vous rendre la musique effroyable pour toute votre vie. On y prépare une cuisine de gauffres, de harengs et de petites saucisses à faire trembler. Cette fois surtout, il y avait pour le peuple un nouveau spec-