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REVUE. — CHRONIQUE.

pas seulement la chute du ministère, mais un péril pour le gouvernement.

Le maréchal Gérard est entré au ministère de la guerre pour mettre fin à une administration évidemment dilapidatrice ; il n’y a même pas de courage à le dire, tant il est facile de le démontrer. Dès les premiers jours de son ministère, le maréchal Gérard, tout malade, tout exténué qu’il était, s’est mis avec cœur à remplir cette pénible tâche. Il a refusé de signer aucun marché, avant un examen qui demandera des réflexions et une attention sérieuses ; il a destitué quelques hauts employés, sans déguiser au public les motifs de leur renvoi ; et enfin, du fond de son lit de souffrance, il a couronné dignement ces premiers travaux de réforme par un rapport au roi sur les crédits supplémentaires, où se trouve cette phrase qui restera : « La bonne foi est féconde en résultats. » Le roi a approuvé ce rapport.

Les journaux ministériels, qui vantaient la gloire, l’économie et la probité du maréchal Soult, ont aussitôt chanté les louanges du maréchal Gérard, éloges auxquels il a dû être fort sensible. Mais l’opposition de toutes les nuances et de toutes les couleurs a renchéri sur ces éloges. Ce n’était après tout que l’éloge de la droiture et de l’honnêteté, et il était assez naturel qu’il se trouvât dans toutes les bouches ; mais enfin cet éloge ne pouvait se faire qu’au détriment du ministre éloigné, au détriment de ses collègues qui connaissaient mieux que personne le désordre et tous les vices plus ou moins honteux de son administration, qui l’avaient soutenu et défendu à la tribune, avaient si long-temps marché avec lui, et s’étaient rendus solidaires de toute sa conduite ; et il ne pouvait aussi se faire qu’au détriment du pouvoir souverain, qui joue un rôle si actif dans les affaires, et qui s’était appuyé si hautement sur le maréchal Soult. Chaque louange adressée au maréchal Gérard est donc un coup qui ébranle le ministère, et qui porte même un peu plus haut.

Le pouvoir sait-il bien toutes les obligations qu’il s’est imposées en portant un homme tel que M. le maréchal Gérard à la présidence du conseil, et le maréchal lui-même sait-il tous les devoirs qu’il s’est prescrits en acceptant ? Le maréchal n’est pas seulement ministre de la guerre, il est président du conseil. La doctrine qu’il a établie pour les crédits supplémentaires, le mode de budget qu’il prescrit, il doit les imposer à ses collègues ; le flambeau qu’il a allumé pour éclairer les désordres de son département, doit être porté dans tous les autres ; ce flambeau éclairera toutes les figures qui sont près de la sienne, sur le banc des ministres, et qui se passeraient bien de cette clarté ; la chambre pourra lire, voudra lire sur ces visages, et il en est déjà qui lui ont semblé manquer de droiture et de loyauté. Plus l’opposition, plus les journaux ministériels, plus tout le monde louera le maréchal Gérard, plus le maréchal sera un embarras pour ses collègues, ou plutôt ses collègues un embarras pour lui ; il ne pourra marcher avec eux, et eux avec un tel homme ; et comme après tout c’est sur lui que s’arrêteront l’estime et le choix des chambres, il sera forcé de les jeter par-dessus bord, comme un lest inutile et dangereux par le gros temps. Toute autre issue lui est interdite. Le