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pas moins à retrouver les sources secrètes des affections, des anciennes larmes et du génie de M. Ballanche, cette pensée éternelle d’un hymen à la fois accordé et impossible, cette initiation au vrai et au bien par la chasteté et par la douleur : « La douleur, dit Orphée, sera le second génie qui m’expliquera les destinées humaines. » Chaque page nous offre des pensées de tous les temps, dans la magnificence de leur expression : « Souvenez-vous que les dieux immortels couvrent de leurs regards l’homme voyageur, comme le ciel inonde la nature de sa bienfaisante lumière. » Et encore : « Toutes les pensées d’avenir se tiennent ; pour croire à la vie qui doit suivre celle-ci, il faut commencer par croire à cette vie elle-même, à cette vie passagère. » Enfin, les approches de la mort d’Orphée, les troubles et l’agonie passagère de cette grande ame qui se croit un moment délaissée, ont une sublimité égale aux plus belles scènes des épopées modernes. Et voilà pourquoi M. Ballanche a bien fait de rester poète.

L’influence des écrits de M. Ballanche a été lente, mais réelle, croissante, et très active même dans une certaine classe d’esprits distingués. Pour n’en citer que le plus remarquable exemple, la lecture de ses Prolégomènes, vers 1828, contribua fortement à inspirer le souffle religieux à l’école, encore matérialiste alors, de Saint-Simon. Témoin de l’effet produit par cette lecture sur quelques-uns des plus vigoureux esprits de l’école ; je puis affirmer combien cela fut direct et prompt. L’influence, du reste, n’alla pas au-delà de cette espèce d’insufflation religieuse. Historiquement, l’école saint-simonienne partit toujours de ce que M. Ballanche appelle l’erreur du xviiie siècle, erreur admise par Benjamin Constant lui-même ; elle persista à voir le commencement de la société dans le sauvagisme, comme lui. Benjamin Constant, commençait la religion par le fétichisme.

M. Ballanche est peut-être l’homme de ce temps-ci qui a eu à la fois le plus d’unité et de spontanéité dans son développement. Sans varier jamais autrement que pour s’élargir autour du même centre, il a touché de côté beaucoup de systèmes contemporains et, pour ainsi dire, collatéraux du sien ; il en a été informé plutôt qu’affecté, il a continué de tirer tout de lui-même. La doctrine de Saint-Martin semble assurément très voisine de lui, et pourtant, au lieu d’en être aussi imbu qu’on pourrait croire, il ne l’a que peu