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il y a bien peu d’esprits que l’influence n’ait pas atteints d’une manière ou d’une autre ; et moi-même qui vous prêche, je me suis souvent demandé si je n’en tenais point… Tout ce que vous avez dit sur les langues et tout ce qui en dépend est excellent. Enfin, monsieur, je ne saurais trop vous exhorter à continuer vos études et vos travaux. Je ne crois pas, comme je vous l’ai dit franchement, que vous soyez tout-à-fait dans la bonne voie, mais vous y tenez un pied, et vous marcherez gauchement jusqu’à ce qu’ils y soient tous les deux. Avez-vous vu une feuille du Courrier du Commerce (c’était l’article de M. Lémontey), qui m’appelle le vaporeux Piémontais, qui me compare à Zuingle, M. de Bonald à Luther, et vous, monsieur, au doux Mélanchton. Si vous voulez examiner ce beau jugement et le confronter au mien, vous y verrez la preuve évidente de ce caractère hybride que je vous reprochais tout-à-l’heure. Le sans-culotte vous attend dans son camp ; moi, je vous attends dans le mien. Nous verrons qui aura deviné. Si je vis encore cinq ou six ans, je ne doute pas d’avoir le plaisir de rire avec vous de l’émancipation de la pensée. »

Non, si M. de Maistre avait rencontré après des années M. Ballanche, il n’aurait pas ri avec lui de cette émancipation de la pensée, ou c’est qu’alors il aurait ri de ce mauvais et diabolique sourire qu’il a lui-même tant reproché à la lèvre stridente de Voltaire. Tout invincible qu’il était, il aurait fini par comprendre qu’il y avait quelque chose d’irrévocable qui, d’agonie en agonie, achevait d’expirer. M. Ballanche a magnifiquement et pieusement répondu à la lettre de l’illustre contradicteur, lorsqu’apprenant sa mort, il ouvre la troisième partie des Prolégomènes par cette sorte d’hymne funéraire : « L’homme des doctrines anciennes, le prophète du passé vient de mourir… Paix à la cendre de ce grand homme de bien !… » Tout ce morceau est d’une haute vigueur de pensée et d’une belle effusion de cœur : je me figure le geste clément de Fénelon s’il avait béni le cercueil de Bossuet et proféré son oraison funèbre.

Dans l’Essai sur les Institutions et dans les écrits qui suivirent, dans le Vieillard et le Jeune Homme, publié en 1819[1], dans l’Homme

  1. Cette expression publié est inexacte pour les écrits de M. Ballanche qui