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buait à réduire à l’ordre le mouvement d’insurrection littéraire qui s’essayait à la suite des révolutions politiques. Grenville, Bonneville, Sénancour, Nodier, et d’autres restés inconnus dans cette génération intermédiaire, furent ajournés ou interceptés ; les meilleurs ne s’en relevèrent, après quinze ans, qu’à demi. Seuls, les génies hors de ligne de M. de Châteaubriand et de Mme de Staël ne ressentirent nulle atteinte et ne subirent pas de déviation.


M. Ballanche, qui, de compagnie avec son père, s’occupait de réimpressions d’ouvrages classiques et religieux, d’une édition de la Poésie sacrée des Hébreux de Lowth, vint à Paris en 1801 ou 1802, quelques mois après la publication du Sentiment. Il alla voir tout aussitôt M. de Châteaubriand dont le Génie du Christianisme avait paru, et il lui proposa de donner une Bible française avec des discours. Les discours devaient être de M. de Châteaubriand, et dans le texte français, qui aurait été en gros celui de M. de Saci, M. Ballanche aurait infusé tous les passages des Écritures qui se trouvaient traduits par Bossuet et autres grands écrivains sacrés : « car, ainsi qu’il l’a remarqué depuis dans les Institutions sociales, Bossuet, ce dernier père de l’Église, a une merveilleuse facilité à s’approprier les textes sacrés et à les fondre tout-à-fait dans son discours qui n’en éprouve aucune espèce de trouble, tant il paraît dominé par la même inspiration. » Ce projet n’eut pas de suite, quoique M. de Châteaubriand ait commencé quelque chose des discours. Mais il se forma du moins à ce sujet, entre le grand poète et M. Ballanche, une première liaison qui ne fit plus tard que se resserrer. M. Ballanche fit avec lui le voyage de la grande Chartreuse et des glaciers, en 1804, et au moment du départ pour Jérusalem, il l’alla rejoindre à Venise d’où il ramena en France Mme de Châteaubriand. Pendant son premier séjour à Paris, M. Ballanche vit aussi M. de La Harpe, alors exilé à Corbeil par ordre du Consul, et il lui proposa de donner ses soins à une édition choisie et purifiée de Voltaire ; la mort de La Harpe, qui survint l’année suivante, coupa court à cette pensée. La Harpe avait été fort frappé que, dans le livre du Sentiment, l’auteur eût appelé l’Élysée du Télémaque un véritable paradis chrétien ; il lui enviait cette idée : « Moi qui ai fait un éloge de Fénelon, je n’ai pas songé à cela, s’écriait-il, et voilà qu’un jeune