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lit, ses eaux couvriront les plaines ; les villages, les bourgs paraîtront comme de petites îles, et le Delta sera comme un archipel. Après cela le fleuve reprendra son cours ; on cultivera de nouveau les terres ; on leur confiera les germes de la fécondité, et la campagne se couvrira d’autres moissons. Voilà toutes les variétés du pays où nous sommes, voilà tout ce qu’on voit en Égypte depuis le temps de la création.

L’histoire nous dit que les anciens Égyptiens étaient d’un caractère mélancolique, et qu’ils avaient sans cesse besoin d’être distraits. Je n’ai pas trop de peine à le croire, car l’uniformité des spectacles qu’ils avaient sous les yeux devait les disposer à la tristesse. Cette disposition me paraît fort naturelle, et je sens que l’ennui commence aussi à me gagner.

Huit jours se sont écoulés depuis que nous sommes partis de Rosette ; nous avons vu tout ce qu’il y a de plus curieux ; nous passons chaque jour en revue beaucoup de villages qui ne présentent plus rien de nouveau que leur nom. À mesure que nous avançons, j’éprouve moins le besoin de descendre à terre et de parcourir la campagne. Mon attention a fini par se concentrer dans notre kanje, et, pour achever mon itinéraire, je veux vous décrire la manière dont nous y vivons.

Notre chambre, si je puis l’appeler ainsi, n’a rien que de très commun ; elle n’a pas dix pieds carrés ; on ne peut s’y tenir debout : aussi, y suis-je toujours couché ou assis ; une porte donne sur le devant de la barque, une autre sur un petit réduit où sont nos malles. Sur les deux côtés de notre cabane, sont de petites fenêtres, par lesquelles nous voyons les rivages du Nil comme dans une lanterne magique ; nous sommes trois dans cette espèce de cellule. J’ai avec moi le fidèle Antoine ; nous avons pour commensal et pour compagnon un brave négociant de Neuchâtel, en Suisse, qui va vendre au Caire des toiles peintes de son pays ; ses marchandises sont dans une autre kanje qui marche de conserve avec la nôtre.

Nos mariniers sont des hommes de vingt-cinq à trente ans ; ils paraissent forts et robustes ; j’ai remarqué qu’ils avaient sur le bras et sur la poitrine des signes ou des caractères tracés avec de la poudre ou de l’antimoine ; c’est un usage que nous avons trouvé