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REVUE DES DEUX MONDES.

PERDICAN.

Est-ce possible ? Est-ce toi, Camille, que je vois dans cette fontaine, assise sur les marguerites, comme aux jours d’autrefois ?

CAMILLE.

Oui, Perdican, c’est moi. Je viens revivre un quart d’heure de la vie passée. Je vous ai paru brusque et hautaine ; cela est tout simple, j’ai renoncé au monde. Cependant, avant de le quitter, je serais bien aise d’avoir votre avis. Trouvez-vous que j’aie raison de me faire religieuse ?

PERDICAN.

Ne m’interrogez pas là-dessus, car je ne me ferai jamais moine.

CAMILLE.

Depuis près de dix ans que nous avons vécu éloignés l’un de l’autre, vous avez commencé l’expérience de la vie. Je sais quel homme vous êtes, et vous devez avoir appris beaucoup en peu de temps avec un cœur et un esprit comme les vôtres. Dites-moi, avez-vous eu des maîtresses ?

PERDICAN.

Pourquoi cela ?

CAMILLE.

Répondez-moi, je vous en prie, sans modestie et sans fatuité.

PERDICAN.

J’en ai eu.

CAMILLE.

Les avez-vous aimées ?

PERDICAN.

De tout mon cœur.

CAMILLE.

Où sont-elles maintenant ? Le savez-vous ?

PERDICAN.

Voilà, en vérité, des questions singulières. Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne suis ni leur mari ni leur frère ; elles sont allées où bon leur a semblé.

CAMILLE.

Il doit nécessairement y en avoir une que vous ayez préférée aux autres. Combien de temps avez-vous aimé celle que vous avez aimée le mieux ?

PERDICAN.

Tu es une drôle de fille ; veux-tu te faire mon confesseur ?

CAMILLE.

C’est une grâce que je vous demande, de me répondre sincèrement.