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LETTRE SUR L’ÉGYPTE.

Quand nous sommes rentrés au village, le réis nous a montré une mosquée qui tombe en ruine, et qu’on ne répare point ; il nous a fait voir une école pour les enfans, qui est abandonnée. Le pacha, nous a-t-il dit, s’est emparé de tous les biens qui appartenaient aux mosquées et aux établissemens de charité ; il s’est bien engagé à payer quelques pensions, certaines sommes annuelles pour la réparation et l’entretien des mosquées et des écoles, mais ce qu’il donne ne suffit pas toujours. Quand il s’agit du miri, on augmente les chiffres ; quand il s’agit de Dieu et des pauvres, on fait des économies. — Pendant que le réis nous parlait de la sorte, nous avons entendu le bruit d’un tambourin ; nous sommes entrés dans un café qui nous a offert un spectacle tout nouveau. Ce café était une espèce de hangar assez vaste, n’ayant que les quatre murailles ; on y trouve seulement quelques gradins en planches pour se tenir assis ; dans un coin de la salle, brillait une lampe ou kandil qui éclairait la moitié de l’enceinte ; un orchestre était placé à la porte, composé d’un homme qui jouait d’un chalumeau formé de roseaux du Nil, et d’un instrument en terre cuite, recouvert d’une peau de chacal ; près des musiciens, plusieurs jeunes femmes dansaient, tenant en main des castagnettes, et jouant les pantomimes les plus obscènes. Une espèce de Gilles se mêlait à leur danse ; autour de sa tête pendaient des coquillages qu’il agitait et faisait retentir, comme pour accompagner la musique. Tout-à-l’heure, ai-je dit au réis, vous reprochiez à votre pacha de laisser tomber les mosquées, de laisser fermer les écoles, il a grand tort sans doute ; mais comment tolère-t-il des spectacles comme celui que nous voyons ? — La chose est toute simple, m’a-t-il répondu : il faut que le pacha donne de l’argent pour l’entretien des écoles et des mosquées, et les cafés comme celui-ci donnent au contraire de l’argent au pacha.

Notre patron nous a parlé de plusieurs cafés semblables à celui de Nadir ; on en trouve dans beaucoup de villages du Nil ; les Arabes les appellent du nom générique de fantasia. Les courtisanes qui les fréquentent sont inscrites sur les registres du fisc et paient un tribut ; elles ont une organisation et des règlemens qui leur sont propres ; elles ont même dans plusieurs bourgs un quartier séparé, comme à Fouah. Le bourg ou la ville où elles se trouvent en plus grand nombre, et qui est comme le quartier-général de la prosti-