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DE L’INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE EN FRANCE.

terrain neutre, que l’avantage est pour celui qui fait du bon, suffisamment bon, mais à un prix modéré, que ce soit du drap anglais ou de l’horlogerie française. Mais cette direction, comment la concilier avec les expositions ?

L’esprit qui préside aux expositions générales n’est pas un esprit d’ordre et de méthode ayant pour but de mettre sous les yeux de la France l’inventaire général des produits du travail de la nation, d’y appeler le plus simple, le plus usuel, le plus ignoré, comme celui qui se distingue par la richesse et l’éclat. Non ! Il faut des objets extraordinaires, créés n’importe à quel prix, mais qui attirent l’attention de la foule ignorante, et par suite provoquent les récompenses.

On a donné dans le temps la décoration à l’homme au petit manteau, et tout le monde a applaudi. Les vertus modestes, l’esprit de charité, trouvent leur récompense dans leur intérieur ; mais quand le pouvoir les aperçoit, il s’honore en les honorant. L’homme au petit manteau, c’est le fabricant zélé, laborieux, ami de ses ouvriers, qui, ne trouvant rien d’extraordinaire dans ce qu’il produit tous les jours, n’a pas l’idée de paraître à l’exposition, ne demande rien au pouvoir, que l’abaissement des droits sur les matières et sur les articles qu’il emploie. Surtaxer les outils, quand quinze années d’impôt n’arrivent pas à en empêcher l’importation, c’est à la lettre imposer le pain de l’ouvrier.

Après la brillante solennité qui a suivi l’exposition, nous avons écouté la voix publique, la presse départementale et cette expression de la pensée vulgaire qui se trompe moins souvent que les ministres, leurs bureaux et les jurys les plus indépendans. Nous avons recueilli de longues plaintes sur des omissions à l’égard du mérite méconnu. Nous avouons en avoir été peu touchés. Le manufacturier venant se soumettre à des appréciations où manquent tant d’élémens, où tant de difficultés vaincues peuvent être ignorées, nous paraît hors de son rôle. Il éprouve un dommage quand le jugement déclare son concurrent plus habile, et cependant il peut avoir la conscience que lui-même est plus utile au pays. Qui garantit le pouvoir contre les erreurs ? Entre deux concurrens égaux, qui tient la balance, si ce n’est l’opinion publique ; est-on-certain de ne pas l’égarer ?

Les médailles, les mentions honorables indiquent que les produits exposés ont été appréciés par le jury. Mais de bonne foi y a-t-il mérite égal de difficultés vaincues ou d’importance pour ceux qui obtiennent des récompenses semblables ? La décoration montre que le ministre ou le pays vous reconnaît pour un homme honorable dans la carrière que vous poursuivez ; mais tous les hommes honorables sont-ils décorés, et n’y a-t-il que de tels