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commission instituée dans chaque place pour y procéder. Dix jours avant l’adjudication, les concurrens ont dû adresser au président de cette commission une déclaration de leur intention de concourir, et la commission a dû délibérer sur leur aptitude. Les concurrens admis par elle sont seuls reçus à présenter des soumissions le jour de l’adjudication, c’est-à-dire dix jours après cette séance préparatoire, dont le procès-verbal doit être envoyé immédiatement au ministre. On connaît donc au moins cinq à six jours avant l’adjudication, au ministère de la guerre, le nom de tous les concurrens qui doivent s’y présenter, et comme le ministre ne s’est pas réservé le droit de revenir sur les décisions de la commission, ni d’exclure personne du concours, on se demande quel est le but dans lequel l’envoi immédiat du procès-verbal préparatoire est exigé. N’est-il pas permis de penser que le procès-verbal est communiqué aux loups-cerviers de la finance, à ces banquiers de fournitures, toujours prêts à se charger de toutes les entreprises ? Si le procès-verbal ne contient aucun nom de concurrens de connaissance, on fixe un prix limité inférieur aux cours de la localité, et l’on est bien sûr que le jour définitif il n’y aura pas d’adjudication. Dès-lors l’usage, au ministère de la guerre, est de traiter à Paris, de gré à gré, et le nom du fournisseur habituel est dans toutes les bouches. Si, au contraire, le procès-verbal indique le nom de concurrens avec lesquels on puisse s’entendre, le prix limité est ordinairement fort élevé : les divers concurrens font entre eux une ventilation, ou un partage, et l’adjudication se fait à un taux qui indique que la dépêche cachetée du prix limité n’a pas été secrète pour tout le monde. Les faits que nous venons d’énoncer se renouvellent chaque année, et les adjudications de fournitures de fourrages qui ont lieu en ce moment, démontrent que l’ancien système n’a point été abandonné sous le nouveau ministre, dont la haute probité ne soupçonne sans doute nullement tous ces tripotages.

Il est un fait incontestable pour les gens du métier ; c’est que le prix moyen de la ration ordinaire des fourrages est de 1 fr. à 1 fr. 10 c., c’est à ce taux, à peu près, que se faisaient les traités d’entreprises générales, quand ce mode était suivi en France. Ce qui prouve, au reste, que le prix de 1 fr. n’est pas de beaucoup inférieur au prix moyen, c’est que le gouvernement paie à ce taux, aux officiers sans troupes, ou aux officiers de cavalerie voyageant isolément, les rations qui ne leur sont pas données en nature. Or nous croyons être certains que la moyenne des adjudications qui se font en ce moment sera, pour le nord, de 1 fr. 25 c., et pour le midi, de 1 fr. 50 c.. Il y a donc un excédant d’au moins 25 c. sur les prix qu’on aurait pu obtenir par un meilleur mode d’administration. Ces 25 c., multipliés par 60,000 chevaux, font une dépense journalière de 15,000 fr. ou de 5 millions et demi pour l’année entière, au-delà de celle à laquelle on aurait pu se réduire.

Puisque nous avons parlé de fourrages, nous rapporterons une anecdote assez curieuse que racontait, il y a peu de jours, un voyageur. Il se trouvait dans une diligence avec un homme assez communicatif. Arrivé dans la ville de ……, ce dernier engagea le conducteur à retarder le départ de la voiture de quelques minutes, ayant à régler une affaire pres-