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REVUE. — CHRONIQUE.

touchent pas très vivement aux grands intérêts de l’Angleterre ; mais cette discussion du parlement a envenimé toutes les questions, et la lutte qui va s’ouvrir sera sans doute décisive. Or, M. de Talleyrand, tout anglais qu’il soit, se demande quel avantage nous retirerions de l’alliance de l’Angleterre, si l’Angleterre était bouleversée par une révolution.

M. de Talleyrand est venu confirmer par des preuves certaines un fait dont on se doutait bien aux Tuileries. C’est que don Carlos n’agit, dans l’étroite sphère où il est encore enfermé, que d’après les instructions des trois puissances, qui ont près de lui des représentans, parmi lesquels on compte un homme reconnu pour fort habile, et un ancien aide-de-camp de l’empereur de Russie. Quant aux secours matériels, des bâtimens russes, autrichiens et hollandais croisent en vue des ports d’Espagne d’où l’on espère que don Carlos pourra communiquer avec le continent ; ces navires portent des hommes, des munitions, des armes. De nouveaux convois se préparent en toute hâte dans le Texel et dans l’Adriatique. Les tories travaillent aussi avec zèle à seconder le prétendant, et si la France et l’Angleterre ne prennent un parti prompt et décisif, il faudra peut-être, dans quelques mois, en venir à une grande démonstration des deux puissances et à une guerre d’intervention qui compromettrait fort cette paix européenne que M. de Talleyrand garantissait, il y a peu de jours, avec tant d’assurance.

Pour tout le reste, pour les questions d’intérieur, M. de Talleyrand rit, hausse les épaules, et dit à ses confidens que ces choses-là sont à la taille de M. Thiers et de M. Guizot. Encore présume-t-il trop de M. Thiers qui paraît excédé de son ministère, qui refuse toute signature, chasse ses chefs de division de son cabinet, ne veut plus pour société que des jeunes femmes et d’innocentes gazelles, s’enfuit à Dieppe pour se refaire, et ne parle depuis quelque temps que de se retirer dans la chambre des pairs ou dans une ambassade. M. Thiers a des projets de retraite ; et dans son dégoût du monde, il se contenterait d’un traitement de cent mille francs, d’un titre de comte et du manteau d’hermine.

Nous connaissons trop M. Thiers pour croire à la sincérité de ses paroles. Pendant la courte session qui vient d’avoir lieu, M. Thiers a tâté du pied le terrain de la chambre, et il l’a trouvé terriblement mouvant. Dès-lors, et selon son habitude, M. Thiers s’est mis à négocier avec tous les partis, avec toutes les nuances. Il est venu trouver tour à tour les économes et les furieux d’amour dynastique ; avec les uns, il a déclamé contre les prodigalités et les pots-de-vin, avec les autres contre la tiédeur de ses collègues ; il a promis tout à tout le monde, il a brocanté tous les portefeuilles du ministère, à l’exception du sien ; en un mot, M. Thiers a fait ce qu’il fait chaque fois qu’il s’agit d’un changement ministériel, et pour terminer dignement la comédie, il a lancé quelques mots de démission, afin de se mettre en mesure, et pouvoir dire à la chambre devant laquelle ce ministère se dissoudra probablement, qu’il avait déjà volontairement cessé d’en faire partie avant la session.

Ces honteuses et déplorables intrigues ont déjà réussi plusieurs fois à