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UN SPECTACLE DANS UN FAUTEUIL.

sont donnés à des idéalités nouvelles. Chacun de ces caractères a une physionomie fraîchement et subitement peinte, une idiosyncrasie parfaite et contemporaine. Même à les considérer ensemble et de près, on reconnaît, sous leurs diversités tranchées, une similitude et une solidarité réelles. Frères d’une même famille poétique, ils portent à divers âges, sous l’éclair de lumières diverses, le même signe de jeunesse et d’amour ; ils ont une vigueur intérieure qui se promet de triompher de leur ennui ; ils ont une foi bonne et latente. Si le scepticisme a tracé quelques rides sur leurs joues vermeilles, il leur a donné aussi une force prématurée qui désormais surmontera les périls qu’elle connaît.

Lorenzaccio, le dernier né de cette belle race, a plus d’ardeur encore que ses frères, plus de décision, une puissance plus arrêtée et plus positive.

« Ma jeunesse, dit Lorenzo, a été pure comme l’or. Pendant vingt ans de silence, la foudre s’est amoncelée dans ma poitrine, et il faut que je sois réellement une étincelle du tonnerre, car tout à coup une certaine nuit que j’étais assis dans les ruines du Colysée antique, je ne sais pourquoi je me levai, je tendis vers le ciel mes bras trempés de rosée, et je jurai qu’un des tyrans de la patrie mourrait de ma main. J’étais un étudiant paisible, je ne m’occupais alors que des arts et des sciences ; il m’est impossible de dire comment cet étrange serment s’est fait en moi. Peut-être est-ce là ce qu’on éprouve quand on devient amoureux. »

Ce qui fait vraiment les poètes, c’est une manière intime, concentrique, unitaire, de sentir les faits humains et les œuvres de la création. Cette unité de sentiment peut revêtir diverses formes ; ce centre de sensibilité peut aboutir à plusieurs issues : mais enfin sous les différentes manifestations qu’elle emprunte, la même poésie circule. La même ame anime différens corps. Et l’apparente variation qui se fait remarquer dans des œuvres successives, vient de la différence des choses auxquelles se mêle le même type inaltérable. Dans la poésie dramatique, ce sentiment dominateur se produit par l’habitude de certains caractères dont l’unité s’élabore et s’étend à mesure que le talent s’accroît. On peut ainsi juger un poète sûrement d’après les indications générales de sa création la plus familière. Essayé à cette règle, le génie de M. de Musset paraît tout à coup dans la plénitude de sa force et de ses espérances. Non-seulement il a un type à lui que nous avons montré ; mais encore il n’a cessé de l’exalter et de l’idéaliser. Lorenzo, ce Brutus moderne, est une grande création, plus grande évidemment en elle-même que le type de Byron, qui pourtant s’élève si haut, que toutes les lassitudes étalées au milieu de nous par le génie du siècle avaient paru jusqu’à ce jour refléter son ombre sublime. Les douleurs de la poésie byronienne s’étaient arrêtées à un lyrisme éperdu